Ralf Caers Ralf Caers, Professeur de la KU Leuven et de l'université d'Hasselt
Texte
Jo Cobbaut

2022: quelles tendances en GRH?

1 février 2022
Il est toujours préférable de s’appuyer sur une solide base scientifique mais la GRH suit rarement cette voie
Quelles sont les évolutions que détecte Ralf Caers, professeur renommé de la KU Leuven et de l'université d'Hasselt? La réponse, on devrait la trouver dans la troisième édition de son manuel RH, Human Resources Management: Basics.

Quelles sont les évolutions que détecte Ralf Caers, professeur renommé de la KU Leuven et de l'université d'Hasselt? La réponse, on devrait la trouver dans la troisième édition de son manuel RH, Human Resources Management: Basics.

Pourquoi écrire votre manuel en anglais?

Ralf Caers: «HRM Basics est la version anglaise de mon précédent ouvrage. Il avait connu un tel succès que mon éditeur a voulu lui donner une diffusion internationale. D'où le choix de l'anglais. En Belgique, les cours universitaires sont d'ailleurs donnés de plus en plus souvent dans cette langue, langue qui facilite aussi les échanges des deux côtés de la frontière linguistique… En même temps, je suis assez heureux de voir que ce livre va affronter un public au-delà de nos frontières. Cela prouve qu'il n'est pas nécessaire de recycler les cas que je présente et que de nombreux exemples belges sont suffisamment forts pour inspirer les lecteurs étrangers.»

Quelles seraient les principales tendances que vous retenez?

Ralf Caers: «Depuis le début de ce travail d'écriture en 2008, j'ai vu apparaître une préoccupation croissante en faveur de l'accompagnement de carrière et du travail faisable. Une évolution due en partie à la démographie. Comme on le sait, les enfants du baby-boom sont de plus en plus nombreux à quitter le marché du travail et ne pourront pas tous être remplacés par les enfants de la génération suivante. Notre système de pension risque donc de devenir impayable. Il est dès lors assez naturel que l'on essaie de conserver plus longtemps les gens en activité. Depuis 2010, j'observe aussi une attention croissante envers la gestion des carrières. Le stress et le burn-out sont également sous le feu des projecteurs en raison de chiffres inquiétants. Les statistiques sur les maladies de longue durée que cite la presse sont d'ailleurs fortement sous-évaluées.»

Des études de Mensura établissent que peu d'organisations conçoivent une politique structurelle de lutte contre l'absentéisme.

Ralf Caers: «C'est vrai. Dans les petites organisations, la GRH est souvent prise en charge par quelqu'un qui n'a pas de formation en la matière. Il n'est pas rare que ce responsable RH soit le ou la partenaire du patron ou de la patronne. Il y a fort à parier que certains problèmes RH ne seront pas traités. Je pense par exemple à tout ce qui concerne la socialisation. On part trop vite du principe que cette idée doit être réservée aux grandes organisations qui comptent beaucoup d'employés. Alors que la recherche prouve qu'il est important d'intégrer les collaborateurs dans une équipe, quelle que soit sa taille. Si cela ne se fait pas, c'est le hasard qui déterminera si quelqu'un est inséré dans le groupe, s'il se sent bien, s'il s'identifie aux valeurs collectives…»

Avez-vous constaté au fil des années que la GRH avait plus d'impact?

Ralf Caers: «La GRH a longtemps eu du mal à fournir des preuves chiffrées de ses interventions. Il est difficile de démontrer l'intérêt économique d'un programme d'engagement si vous êtes incapable de l'étayer par des chiffres. D'où visiblement une tendance qui voit arriver plus d'économistes dans les fonctions RH au détriment des psychologues. Dans les grandes organisations, l'approche chiffrée emporte la mise parce que vous pouvez y effectuer de grands sondages susceptibles de dévoiler des tendances tout en préservant l'anonymat. Dans les petites structures, cette pratique est plus difficile à mettre en œuvre et les collaborateurs tairont les problèmes.»

La GRH n'est-elle pas encore trop intuitive? Si un CEO demande à plusieurs DRH ce qu'ils comprennent par l'engagement, il aura sans doute autant de réponses différentes.

Ralf Caers: «La définition de l'engagement reste souvent floue. D'un autre côté, le phénomène est assez bien décrit. J’aborde par exemple dans mon manuel un phénomène éclairant: les comportements discrétionnaires au travail, étudiés par Meyer, Becker et Vandenberghe. Ces auteurs décrivent le comportement de l'individu dans une situation où il sait qu'un échec ne peut lui être imputé mais qu'il se justifie par des facteurs externes. Cette réalité l'empêchera d'être sanctionné s'il n'entreprend rien de plus. En revanche, s'il fournit un effort supplémentaire, il le fera de façon bénévole, au seul bénéfice de l'organisation. Cette sorte d'abnégation a été décrite au début des années 2000. La vague d'intérêt pour cette question est arrivée plus tard. On a alors préféré parler d'engagement, ce qui sonne mieux que ce concept de comportement discrétionnaire. Malheureusement, la notion d'engagement est plus floue… Je comprends que l'on n'ait pas confiance en quelqu'un qui n'est pas capable d'en donner spontanément une définition claire. Résultat: le DRH n'obtiendra pas le budget qu'il réclamait. Il est toujours préférable de s'appuyer sur une solide base scientifique mais la GRH suit rarement cette voie. Cette réflexion s'applique aussi aux études qui établissent des corrélations entre l'engagement et les départs. En adoptant une approche chiffrée, vous pourrez calculer les économies que vous allez réaliser sur les campagnes de recrutement, les frais de sélection, les assessment centers, les frais d'intégration des nouvelles recrues, etc.»

La GRH n'a-t-elle pas négligé jusqu'à présent ce genre de calculs, basés sur les données brutes?

Ralf Caers: «Les choses changent: le marché de l'analytique RH est en plein boom. On voit apparaître d'innombrables sociétés qui vous proposent leur aide pour traiter vos informations statistiques. Les grandes organisations ont des tableaux de bord mais ils demeurent très coûteux. Pour les petites structures, ils sont sans doute impayables. L'analytique RH a un bel avenir devant elle mais on attend encore des applications abordables pour les organisations plus modestes. Par ailleurs, le marché de l'intelligence artificielle n'est pas mûr, mais les premières réalisations arrivent. Au fond, la gestion des données gagne en importance dans une autre perspective, celle d'une flexibilité fonctionnelle et numérique. On voit l'intérêt se porter sur les coûts et sur une flexibilité basée sur les contrats temporaires, les free-lances, les flexi-jobs, etc.»

Que pensez-vous de l'idée des recrutements fondés sur l'adhésion aux valeurs?

Ralf Caers: «Elle s'est largement popularisée dans la littérature au début des années 2000. Son principe? Les valeurs du travailleur doivent s'accorder avec celles de l'organisation. On voit ici un lien avec trois choses intéressantes pour l'entreprise: un engagement effectif plus élevé, de meilleures prestations et un taux de départs plus faible. Les entreprises ont d'abord communiqué leurs valeurs (orientation sur le client, professionnalisme, honnêteté, etc.). Elles ont ensuite été plus loin en spécifiant les comportements souhaités dans l'organisation. Prenons la valeur du professionnalisme: cela peut vouloir dire par exemple que les salariés ne se connectent pas aux réseaux sociaux pendant les heures de travail. Ou encore, que l'on arrive aux réunions en s'étant bien préparé. Plus une organisation explique clairement ce qui est souhaitable ou non et plus elle parviendra à édifier une culture forte. Les salariés s'y sentiront bien parce qu'elle renforcera leurs propres valeurs.»

Quelles autres tendances voyez-vous encore?

Ralf Caers: «Ce n'est pas très neuf, mais l'employabilité restera une constante. Je pense que la loyauté des salariés ira à leur carrière et à leur employabilité au lieu de se tourner vers l’organisation. Je vois là un lien avec le burn-out. Si vous pensez que vous n'avez aucune chance de retrouver rapidement un emploi, vous resterez coincé trop longtemps dans un environnement nocif pour vous. Vous devrez alors continuer à encaisser les coups parce que vous n’avez pas d’autre option. Celui qui croit dans son employabilité quitte ces situations toxiques bien avant que la problématique du burn-out ne puisse s’installer. Pour ma part, j’estime que c’est une évolution saine. En investissant dans vos capacités, vous devenez moins sensible au burn-out.»

On voit de plus en plus d’économistes entrer dans les départements RH. Cette tendance se remarque-t-elle chez vos étudiants?

Ralf Caers: «Les facultés dans lesquelles je donne cours sont orientées sur l’économie et tous les étudiants n’ont pas nécessairement envie de se retrouver dans un service des ressources humaines. Certains veulent faire du marketing, de la finance ou de la logistique. Raison pour laquelle je m’enquiers toujours de leurs attentes lors de mon premier cours. La GRH, ce ne sont pas uniquement les compétences douces, il en faut d’autres, plus dures (pensez aux restructurations). Nous avons besoin de gens qui inspirent les autres, qui les dirigent et les motivent mais en même temps, nous devons travailler sur leurs compétences stratégiques et sur les fondations économiques de leurs projets. Et je leur enseigne souvent qu’une fonction dans la GRH n’est pas limitée aux professionnels de cette discipline. Les managers prennent en charge beaucoup d'opérations RH: ils dirigent, ils motivent mais ils participent aussi aux évaluations, aux entretiens de sélection et de fonctionnement. Quelle que soit l’orientation que les étudiants veulent donner à leur carrière, ils ont tous besoin de compétences RH. Ce qui rend notre domaine essentiel.»

Ralf Caers, Human Resources Management: Basics, troisième édition 2021, Intersentia.