Jean-Marc Conrad Jean-Marc Conrad
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Gert Verlinden
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Wouter Van Vaerenbergh

Le goût d'apprendre des candidats dépend de l'état d'esprit de développement de leur manager

1 juin 2023
Dans leur quête de talents, les entreprises ne recherchent plus uniquement des compétences. Elles traquent les candidats qui ont envie de se former pour les acquérir. Comment créer un contexte qui incite les salariés, débutants et chevronnés, à s’instruire? Il faut avant tout apprendre à apprendre. Ensuite, la clé, ce sont les métacompétences.

Dans leur quête de talents, les entreprises ne recherchent plus uniquement des compétences. Elles traquent les candidats qui ont envie de se former pour les acquérir. Comment créer un contexte qui incite les salariés, débutants et chevronnés, à s’instruire? Il faut avant tout apprendre à apprendre. Ensuite, la clé, ce sont les métacompétences.

L’image selon laquelle la formation se limiterait à une journée de transfert de connaissances dans un local de classe se trouble à vue d’œil. Campus 19 à Bruxelles et à Anvers donne la priorité à l’apprentissage social entre pairs. Des personnes âgées d’une vingtaine d’années y apprennent à coder de manière autonome. Le campus est ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Aucun diplôme ni connaissance préalable n’est requis. Seule importe la motivation intrinsèque. «Ce mode d’apprentissage se veut accessible», assure Sarah Van Hooreweder, coordinatrice du campus et de la communauté. «Nous nous adressons à des profils qui se sentent exclus des études traditionnelles et œuvrons à la mise en place d’un contexte attractif.»

Au contexte, il convient d’ajouter le facteur social. Les élèves adultes recherchent ensemble des réponses et s’évaluent mutuellement. Ils acquièrent des compétences en technologies de l'information tout en développant leurs compétences communicationnelles et leur capacité à trouver des solutions. Chez Infrabel aussi, l’apprentissage dans une académie d’entreprise et la pratique sur le terrain ont porté leurs fruits. Le niveau de compétence des collaborateurs du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire croît grâce au travail en alternance. «La sécurité revêt une importance vitale dans notre secteur», explique Jean-Marc Conrad. «Aussi, nous prenons le temps de former les nouveaux venus. Nous les plongeons dans un environnement concret, où ils peuvent éprouver leurs compétences en toute sécurité. La qualité doit être élevée. Nous sommes partisans de la formation permanente.»

La culture fait la différence

Comment un recruteur évalue-t-il les candidats qui ne possèdent pas nécessairement toutes les connaissances et l’expérience souhaitées? Chez Ikea, la GRH les interroge minutieusement sur leurs centres d’intérêt, comme la décoration d’intérieur, et sur leurs affinités avec la culture de l'organisation. «Culture et formation sont étroitement liées», souligne Joachim Verplancke. «Chez nous, la convivialité est une notion vivace. Chacun se montre bienveillant et disposé à aider son prochain. Connaissances et conseils s’échangent au gré des discussions. Parfois même inconsciemment.»

Le temps consacré à la formation de nouveaux collaborateurs est limité. Passer des journées entières dans une salle de classe constitue une méthode d’apprentissage inefficace. «Réfléchissez bien aux outils et aux moments de formation appropriés», recommande-t-il. «C’est la dimension culturelle de l’entreprise qui fait la différence.»

Trois étapes pour avoir le goût d'apprendre

Jan Dillis de Devoteam définit trois étapes pour affûter la capacité d’apprentissage. Premièrement, il convient d’abattre le plus grand nombre possible d’obstacles à la formation. Ensuite, il incombe à l’entreprise et à ses dirigeants de responsabiliser les salariés et de leur faire comprendre qu’ils ont le droit d’apprendre. Et lorsqu'ils se sentiront suffisamment compétents, ils pourront prendre en main les rênes de leur carrière. Ils se l’approprieront.

«La culture d’entreprise joue un rôle prépondérant dans le déploiement de ce plan à trois étapes», ajoute Jan Dillis. «L’environnement de travail doit être placé sous le signe du respect, de la confiance mutuelle et de la tolérance aux erreurs. L’attitude élitiste et les démonstrations de force sont exclues.»

La clé de l'autodétermination

Campus 19 forme des élèves adultes aux emplois dans les technologies de l'information et de la communication. Ils se forment de manière autonome et rapide. Du coup, ils courent le risque de se heurter par la suite à un environnement de travail trop contraignant qui les priverait d’une partie de leur autonomie et de leur liberté. Un encadrement supplémentaire est donc requis. Sarah Van Hooreweder: «Nous proposons dès lors un atelier qui leur enseigne à survivre en entreprise. Notre méthode pédagogique repose sur la théorie de l’autodétermination: le travail autonome, l’implication affichée et ressentie, ainsi que la mise en œuvre des compétences acquises. Autant de qualités que l'on devrait trouver dans le monde de l’entreprise. Si elles sont présentes en suffisance, le processus d’apprentissage se fait tout naturellement.»

Les consultants de Devoteam sont confrontés à une multitude d’organisations, avec leurs caractéristiques particulières. Ce contexte favorise-t-il l’apprentissage continu? «Nous veillons à ce que nos collaborateurs ne se sclérosent pas», souligne Jan Dillis. «Lorsqu’une technologie commence à se généraliser, l’heure est venue d’acquérir de nouvelles aptitudes. Sinon, vous risquez de vous retrouver dans la situation de la grenouille plongée dans une marmite dont la température augmente progressivement. Vos connaissances et votre expertise seront dépassées avant même que vous ne vous en rendiez compte.»

Le style de leadership compte

Jean-Marc Conrad souligne l’importance de sortir les collaborateurs de leur zone de confort. «C’est dans cette zone que le risque d’erreur est le plus élevé.» En raison de conséquences potentiellement mortelles, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire ne peut se le permettre. D’où la nécessité de recourir à la certification, aux attestations et aux examens. «Le renouvellement d’un certificat, par exemple, soumet les collaborateurs à une forte pression de réussite. Il est une source de stress. Le supérieur hiérarchique les aide à y faire face en tant que coach ou mentor.»

S'il est impliqué et prévenant, l'attitude du leader influence considérablement le processus d’apprentissage. «Le leader est-il absent avant, pendant ou après la formation? L’investissement ne sera rien d’autre qu’un coup d’épée dans l’eau. Le style de leadership renferme le pouvoir de changer les choses.»

Pour Jean-Marc Conrad, il faut qu'une formation ait du sens, condition évidente de réussite. «Faites en sorte qu'elle reste pratique et diversifiée, tâchez de comprendre ce qui anime les collaborateurs et ce qui leur donne du sens. C'est alors qu'ils pourront aller jusqu’au bout.»

Sécurité psychologique

Le niveau de sécurité psychologique dépend du supérieur hiérarchique. «L’absence de sécurité psychologique entrave l’apprentissage», affirme Sarah Van Hooreweder. «La précarité économique et financière pèse également sur le climat d’apprentissage.»

Elle a la conviction que la collaboration constitue un maillon essentiel de la formation. «N’hésitez pas à poser des questions. Interrogez-vous les uns les autres, restez curieux. Nous faisons preuve d’indulgence à l’égard des mauvaises notes obtenues dans le cadre des premiers projets de programmation. Nous ne pénalisons pas l’échec: il faut apprendre à se tromper.» Elle reconnaît que l’ancrage de cet état d'esprit parmi les étudiants prend du temps. «Pendant les entretiens d'évaluation, nous insistons sans cesse sur la coopération et l’autorisation d’échouer. Je m’emploie ardemment à mettre ce credo en œuvre.»

«L’organisation innovante n’existe pas, au contraire des collaborateurs innovants, qui ont la capacité et la possibilité d’apprendre», affirme Jan Dillis. «Les leaders ont la responsabilité de favoriser ce processus.»

Et tout commence à un stade précoce, dès le recrutement et la sélection. Un dirigeant capable d’évaluer, de valoriser et de stimuler le potentiel d’apprentissage d’un candidat constitue à ce titre une perle rare. Joachim Verplancke: «La sélection du personnel ne relève pas de la seule responsabilité de la GRH, mais aussi du manager qui inspire et motive.»

Jean-Marc Conrad évoque l’expérience des journées de l’emploi chez Infrabel. «Une journée de l’emploi de ce type et les séances de rencontre qui s’y rapportent constituent pour les candidats l’occasion de ressentir, d’observer et de vivre la réalité du secteur, ses avantages et ses inconvénients. Dans ce contexte, les responsables présents sont capables de détecter les candidats qui manifestent la motivation, l’intérêt et la disposition à l’apprentissage que nous recherchons.»

La pression des performances

Comment concilier la formation avec la pression des objectifs à atteindre et des performances à réaliser? L’incitation à la capacité d’apprentissage est-elle compatible avec les processus RH classiques basés sur l’évaluation? «De nombreuses organisations se focalisent exclusivement sur les scores», assure Jan Dillis. «Pour notre part, nous avons mis fin à l’obsession des résultats mathématiques. La majorité des entretiens de fonctionnement portent sur la progression, sur la matière apprise au cours de la période précédente, sur les objectifs d’apprentissage et sur les initiatives entreprises.»

Admettre ses erreurs et son ignorance

L'état d'esprit de développement (lire l'encadré) est-il un bon indicateur de la capacité d'apprentissage? Les débats de notre table ronde confirment l’attention prêtée par la GRH à cette approche, chez l’individu comme chez le manager, ou encore au niveau de l’organisation.

«Assurez-vous que vos managers possèdent cet état d'esprit de développement», conseille Jan Dillis. «Un manager ne doit pas avoir honte d’admettre une erreur ou d’ignorer certaines choses. Nous encourageons les leaders à faire preuve d’audace lorsqu’il s’agit d’innover au sein de leur département.»

L'état d'esprit de développement se diffuse et s’implante au niveau de l’organisation tout entière. Joachim Verplancke: «Le professionnel RH n’est pas seul. La formation ne se limite pas à l'acquisition de connaissances. Elle incarne la possibilité d’essayer certaines choses. Il y a là une dimension collective et commune. La capacité à travailler ensemble constitue la clé. Mais comment structurer le tout? Il s’agit d’une évolution organisationnelle à grande échelle. Il n'y a pas de solution miracle.»

Cette démarche participe d’une remise en question saine pour le département RH. «Nous nous considérons trop souvent comme des éléments indépendants de l’organisation alors que nous en sommes partie intégrante. Que devons-nous faire? Adopter une attitude plus proactive, faire abstraction des processus et miser davantage sur le développement», conseille Joachim Verplancke.

Pour Jean-Marc Conrad, il faut oser se regarder dans le miroir. «Nous devons prendre conscience de l’environnement de l’entreprise dans laquelle nous travaillons. Et cette prise de conscience passe par le développement incessant de l’esprit d’entreprendre et par un processus qui nous expose occasionnellement à l’échec. C'est grâce à nos erreurs que nous pouvons préparer les conditions du succès.»

Métacompétences

Sarah Van Hooreweder insiste sur la mutation des fonctions. Ainsi, un recruteur attentif aux profils atypiques analysera leur capacité d’apprentissage et créera un contexte dans lequel leurs interlocuteurs pourront se montrer vulnérables. Mais il évaluera également la place que prend la technologie et son incidence sur l’essence même des métiers. «Avec l’intelligence artificielle, les humains cesseront, à terme, d’écrire le code pour en déterminer la fonction et ses aspects éthiques.»

Jan Dillis met en garde contre la tentation de tenir l’apprentissage pour acquis. «Il a été démontré que la neuroplasticité de notre cerveau diminue légèrement avec l’âge. Un certain degré de rigidité s’insinue dans les modèles mentaux. Nous ne tenons pas suffisamment compte de la pénibilité accrue de l’apprentissage chez les travailleurs plus âgés alors que la formation permanente conserve toute son importance.»

C’est ce que conclut Joachim Verplancke. «Pour une entreprise, la meilleure façon de développer la capacité d’apprentissage d’un individu est de l’aider à apprendre à apprendre. Les métacompétences comme la capacité de jugement intuitif, la collecte d’informations plus détaillées ou la créativité onirique forment autant d’éléments constitutifs de la capacité d’améliorer les autres compétences.» ¶

État d'esprit de développement

La psychologue américaine Carol Dweck a étudié la motivation à apprendre et a conclu qu’il existe deux types d'états d'esprit: l'état d'esprit fixe et l’état d’esprit de développement. La notion d'état d’esprit renvoie à l’opinion que se font les individus de leur intelligence, de leurs qualités et de leurs talents – et de leur capacité à évoluer. Un état d’esprit fixe freine les progrès, tandis qu’un état d’esprit de développement est gage de motivation, de persévérance et de soif d’apprendre. Les individus qui possèdent cette mentalité sont convaincus d’être capables de progresser par l’apprentissage et l’expérience.

Le goût d'apprendre des candidats dépend de l'état d'esprit de développement de leur manager Ddag: Joachim Verplancke, Sarah Van Hooreweder, Jan Dillis