Nous utilisons le salaire de référence du marché global, mais on nous demande de plus en plus souvent si nous ne devrions pas faire la comparaison avec d’autres ingénieurs
La rémunération reste une question délicate. Et la situation économique ne facilite pas les choses. Les participants à notre table ronde sont tous d'accord: la transparence et l’équité sont essentielles.
Virginie Verschooris accompagne les organisations dans le cadre de leur politique salariale pour SD Worx. «Cette démarche repose sur plusieurs piliers fondamentaux. D’une part, nous examinons l’ensemble de la rémunération et, d’autre part, le coût pour l’employeur. Ces deux paramètres doivent rester en équilibre. Nous tenons également compte des objectifs stratégiques de l’entreprise et de l’individualisation. Dans quelle mesure est-elle possible? L’équité interne joue également un rôle. Comment les fonctions se situent-elles les unes par rapport aux autres? Et comment l’entreprise veut-elle se positionner par rapport au marché? À partir de là, nous commençons les analyses et élaborons les échelles salariales.»
Comme beaucoup d’autres secrétariats sociaux, Partena utilise des barèmes. «Ces barèmes s’appliquent encore aux trois quarts de notre personnel, mais nous évoluons vers un système de rémunération basé sur la performance», explique Katleen Clappaert. «Ces dernières années, ce budget était d’un pour cent et demi, dont un pour cent était consacré aux barèmes et un demi-pour cent aux salariés ayant fourni plus d’efforts que les autres, ou que nous voulions récompenser davantage. Nous avons également mis en place un plan cafétéria dans lequel les jours de congé, une partie du salaire brut ou la prime de fin d’année peuvent être échangés contre une voiture de société, un vélo de société, des appareils multimédias ou une assurance supplémentaire.»
Sven De Cremer (Telenet): «Nous avons opté pour une politique axée sur la performance. La rémunération est une appréciation financière de la contribution fournie par l'individu et de l’évolution de ses aptitudes, de ses compétences et de son expérience. L'écrasante majorité des salariés font bien leur travail et apportent une contribution de valeur. Mais ce que nous voulons récompenser, c’est une évolution plus rapide que la normale. Le pot doit être réservé au groupe qui livre les contributions les plus marquantes. Dans notre modèle occidental, il existe un lien entre la responsabilité ou la valeur ajoutée et un salaire plus élevé. C’est le postulat de départ. Un autre phénomène typiquement belge est lié à la hausse des coûts salariaux à mesure que les salariés avancent en âge. Si vous n’allez pas dans ce sens, les gens seront mécontents.»
Chez Tractebel, le système de rémunération a été entièrement remanié en 2019. Marie-Lise Pottier: «Nous utilisons une classification des fonctions calquée sur celle de Korn Ferry. Le salaire de base est fondé sur les performances, tandis que le bonus est plutôt une rémunération à court terme basée sur les résultats de l’entreprise. Nous avons un bonus collectif et un bonus individuel. Le bonus collectif a été optimisé grâce à la CCT 90.»
Telenet a récemment renoncé aux objectifs individuels. «Le processus est lourd et pas toujours objectif», souligne Sven De Cremer. «Il demande beaucoup de temps et d’énergie et génère de la frustration pour une valeur ajoutée minime. Nous préférons miser sur les résultats collectifs de l’entreprise. La performance individuelle n’est pas spécifiquement liée à un objectif, mais est évaluée sur la base d’un classement que les managers établissent pour leur équipe. Cette démarche est soutenue par Let's talk, un système dans lequel chacun recueille un feed-back à 360 degrés de son supérieur, de ses pairs et de ses clients, mais pas de manière formelle.»
Virginie Verschooris: «Les entreprises sous-estiment souvent la lourdeur du calcul des performances et la difficulté de formuler ces objectifs. Pour certains profils, cela peut être relativement facile, par exemple si vous pouvez y associer des critères financiers. Pour d’autres fonctions, ce n’est pas toujours aussi évident. L’existence d’un bonus ne signifie pas que celui-ci est atteint et versé chaque année. Cela nécessite également un changement d’état d’esprit de la part des salariés. C’est difficile, car vous risquez de perdre des collaborateurs.»
Katleen Clappaert: «Pendant la pandémie, nous avons octroyé cinq cents euros à chaque collaborateur dans le cadre du télétravail. Aujourd’hui, ils attendent à nouveau ce geste, mais la situation a changé. Il n’y a pourtant pas lieu de considérer cette aide ponctuelle comme un saut de barème annuel ni comme une augmentation de salaire acquise.»
Pour de nombreuses entreprises, la situation économique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est très difficile. Virginie Verschooris: «Les indexations sont un point noir. Les salariés les considèrent comme normales, tout comme les barèmes. En tout cas, cela laisse peu de place pour donner quoi que ce soit aux quelques salariés qui se sont vraiment illustrés au cours de la période écoulée. Or, ce sont justement ces personnes que vous voulez garder dans votre organisation.»
Marie-Lise Pottier: «Il s’agit en effet aussi d’un problème de rétention. Le moment est idéal pour jouer la carte de la rémunération variable, mais le budget représente souvent un problème.»
Sven De Cremer: «Je tombe de ma chaise quand je vois les salaires exorbitants qu’obtiennent les jeunes diplômés. Ils touchent souvent des rémunérations élevées dès le départ. Aujourd'hui, une entreprise doit mettre la barre très haut pour attirer les candidats.»
Virginie Verschooris: «On peut se demander si cette situation est viable à long terme. Le problème est que les gens évoluent et grandissent. Les jeunes veulent avancer rapidement et obtenir tout, tout de suite. Ils s’expriment plus facilement, sont beaucoup plus assertifs et arrivent généralement avec une longue liste de souhaits. Mais que leur reste-t-il à espérer à plus long terme? Il ne faut pas non plus oublier que c’est donnant-donnant et qu’un contrat de travail fonctionne dans les deux sens.»
C’est pourquoi Katleen Clappaert privilégie les catégories larges. «De cette façon, une personne évolue dans sa catégorie et n’y entre pas tout en haut de sa fourchette salariale. Il y a quelques années, nous sommes passés à la gouvernance collaborative et cela attire particulièrement les jeunes. Dans cette philosophie, ils ne sont plus rebutés par les barèmes.»
Sven De Cremer: «Depuis deux ans, nous appliquons les Global Grades de Towers Watson. Toute l’organisation peut être classée en sept catégories. Nous avons délibérément choisi de rendre toutes les composantes de chaque catégorie rigoureusement égales, mais nous avons toutefois prévu des échelles de salaires très larges qui nous permettent d’opérer des différences significatives. Cela facilite la mobilité interne.»
Virginie Verschooris: «Même avec des catégories larges, vous pouvez créer des sous-catégories, ce qui offre aussi une certaine flexibilité.»
Les participants à notre table ronde estiment que la transparence est importante, même si elle ne fait pas vraiment partie de notre culture. Sven De Cremer: «Nous avons opté pour un système transparent. Chaque trimestre, nous invitons tous les membres de l’organisation à une réunion Teams au cours de laquelle nous abordons des sujets stratégiques, les changements, des informations et les KPI liés au bonus pour l’année suivante. Chacun sait à l’avance où il se situe et connaît le pourcentage de bonus par catégorie. Une telle transparence est nécessaire dans l’organisation. Faute de quoi, on s'expose au risque des rumeurs. Cela garantit également que les gens font des choix par rapport à leur fonction, par rapport au contenu et non parce qu’ils pensent qu’ils gagneront un peu plus.»
«La communication sur les catégories dépend fortement de la culture de l’entreprise», explique Virginie Verschooris. «Certaines organisations ne la pratiquent pas. Je privilégie un reward statement annuel qui reprend tous les avantages, tant financiers que non financiers. Si vous compilez l'ensemble et le présentez à vos salariés, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas si mal lotis. Ils pensent toujours que l’herbe est plus verte ailleurs, mais ce n’est pas forcément le cas.»
Marie-Lise Pottier: «Nous aussi, nous avions besoin d’opérer un changement de culture. Nous avons fait le choix de la transparence. Dans notre politique de rémunération, nous expliquons point par point comment cela fonctionne et soulignons que le bonus n’est pas accordé automatiquement. Cette approche fonctionne bien. Nous communiquons sur le compa-ratio, même si nous constatons que cela crée parfois des frustrations chez les salariés.»
Sven De Cremer approuve. «C’est la raison pour laquelle Telenet a abandonné le compa-ratio. Soit vous vous positionnez en haut de l’échelle et vous vous dites que vous ne pourrez plus obtenir d’augmentation. Soit vous vous situez en dessous et avez alors l’impression d’être sous-payé. Pour chaque échelle, nous avons créé trois zones et nous communiquons aux collaborateurs dans quelle zone ils se trouvent. De cette façon, ils savent toujours de quelle marge de croissance ils disposent. Mais ce n’est pas la solution idéale.»
Les participants à la table ronde s’interrogent notamment sur la meilleure façon d’offrir une rémunération conforme au marché. Marie-Lise Pottier: «Nous utilisons le salaire de référence du marché global, mais on nous demande de plus en plus souvent si nous ne devrions pas faire la comparaison avec d’autres ingénieurs. Cette question est vraiment récurrente chez nous.»
Sven De Cremer: «Dans nos benchmarks, nous pondérons les fonctions et recherchons sur le marché des fonctions similaires dans des secteurs pertinents.»
Virginie Verschooris: «On entend souvent: oui, mais mon voisin est aussi key account manageret il gagne tellement plus. Mais il travaille peut-être dans un autre secteur ou dans une plus grande entreprise. Et quid de la partie variable et de tous les autres avantages? Pour comparer, il ne faut jamais additionner des pommes et des poires et envisager la situation dans son ensemble, en tenant compte du bon marché de référence.»
Partena veut également faire souffler un vent nouveau sur sa politique salariale. Le secrétariat social mène un test avec plusieurs équipes qui déterminent où se situent leurs collègues au moyen d’un feed-back à 360 degrés. «Nous avons défini quatre catégories: starter, intermediate, proficient et master», explique Katleen Clappaert. «Après une première évaluation, tout le monde se trouvait dans les catégories proficient ou master. Ce qui n’est, bien sûr, pas possible. C’est pourquoi les RH ont nuancé cette évaluation. Une personne a ainsi fini dans la catégorie master et le reste s’est retrouvé réparti dans les autres catégories. C’est innovant, sachant que nous venons de loin.»
Sven De Cremer: «En réalité, il reste difficile de parler du salaire en Belgique. Nous n'avons pas cette culture. Et nous ignorons donc le salaire de notre voisin de bureau. Il me semble difficile de faire évoluer cette mentalité. Je suis curieux de voir ce qui va se passer chez Partena.»
Virginie Verschooris: «Il y a toujours de bonnes raisons qui expliquent pourquoi un tel gagne moins alors qu'il exerce la même fonction. Il peut être plus jeune, moins expérimenté. Ce qui peut créer des tensions dans l'organisation.»
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