À cause de toutes les épreuves subies, du stress, de la fatigue, on peut parler d'un véritable syndrome post-traumatique.
Le monde a été ravagé par la pandémie de covid-19. En première ligne, les hôpitaux. Dans les tranchées, les infirmières et les infirmiers. Aujourd'hui, comment se sentent ces héroïnes et ces héros? Ont-ils récupéré? Souffrent-ils encore d'une surcharge de travail? Leurs plaies mentales ont-elles été pansées? Le retour d’expérience de Véronique Guilmot, DRH du Grand Hôpital de Charleroi.
«Pendant la crise sanitaire, les travailleurs des soins de santé ont été des héros», rappelle Véronique Guilmot, DRH du Grand Hôpital de Charleroi. «Ils n'avaient pas de cape mais des blouses blanches. Ils posaient des actes exemplaires et semblaient posséder des superpouvoirs. Ils avaient du courage aussi: ils n'hésitaient pas à s'exposer à une maladie redoutable et encore peu connue. Les études démontrent d'ailleurs que les soignants ont été les contaminés parmi tous les secteurs professionnels.»
On ne s'en souvient peut-être plus mais lors du premier confinement, les Belges sortaient dans les jardins ou sur les balcons pour applaudir le personnel des hôpitaux. «Nous recevions des cadeaux, des repas, on nous adressait des messages de remerciement et d'encouragement, le rôle des soignants était enfin apprécié à sa juste valeur. Un rôle que l’on reconnaissait enfin comme essentiel!»
Dès la première vague qui s'achève à la fin du printemps 2020, les hôpitaux sont obligés de pratiquer une médecine de catastrophe. «Nous manquions de masques, de blouses et lits. Des collègues tombaient gravement malades. Il fallait faire des choix éthiques compliqués: qui prendre en charge? celui-là ou celle-ci? quel traitement administrer? En même temps, les patients ne cessaient d'affluer, la surcharge de travail devenait énorme, les horaires s'allongeaient à l'infini. Et puis, il y avait ces émotions majeures à gérer, les malades qui mouraient, la vie familiale sacrifiée…» Le pire, c'est que cette médecine de catastrophe ne s'est pas limitée à quelques mois, elle s'est inscrite dans la durée.
Pas facile d’être un héros. On attend de lui qu’il soit un combattant, qu’il se sacrifie et souffre en silence. Il doit s'exposer au danger sans se plaindre et faire preuve d'abnégation. Bref, il n'a pas le droit de craquer. «Or, la première vague a laissé des soignants submergés par la charge mentale et physique», continue Véronique Guilmot. «Trop de nuits et de jours sans sommeil, trop de décès, trop de pénuries, trop de stress… Et c'est précisément à ce moment-là que la population a commencé à les lâcher!»
Ce revirement de l'opinion publique s'explique sans doute par une certaine lassitude. La DRH du Grand Hôpital de Charleroi ajoute d'autres raisons: «Tout le système de confinement a été régulé en fonction de la pression sur les soins de santé, l'idée étant d'éviter leur saturation.» Conséquence: on a pu penser que les soignants étaient responsables, ne fût-ce qu'indirectement, des mesures coercitives que subissait la population. De plus, comme ils étaient en contact permanent avec les malades, on craignait aussi qu'ils ne soient source de contamination. Avec des réflexes de rejet qui ont été constatés ici ou là. Enfin, l'hôpital a paru se déshumaniser à cause de l'interdiction faite aux proches des malades de leur rendre visite.
Cette crise inédite a réclamé de la part de la GRH de multiples interventions pour permettre au personnel de résister. «Avant la pandémie, nous nous préoccupions déjà concrètement de la qualité de vie au travail. Ce sujet faisait partie de la mission du département RH qui accompagne plus de 4.500 collaborateurs.» Mais cela n'a pas suffi bien sûr à absorber le choc des cinq vagues. Le service de Véronique Guilmot a donc pris plusieurs mesures, souvent dans l'urgence la plus extrême.
Les premières concernaient le bien-être du personnel. «Nous avons créé une cellule d'appui interne, accessible 7 jours sur 7. Le psychologue interne a été mobilisé et nous avons organisé des séances d’autohypnose et de massages pour soulager la pression.» Une attention particulière a été portée aux cas critiques: il a fallu en effet faire des choix éthiques perturbants qui méritaient d’être accompagnés. Dans le domaine de la santé physique, une politique de tracing interne a été mise en place pour suivre les membres du personnel exposés au coronavirus. «Nous avons encore recruté un philosophe hospitalier pour nous aider à retrouver du sens après la crise.»
Le département RH a dû se battre sur un autre front: il fallait s’assurer de disposer des compétences requises. «Nous avons formé une cellule de mobilité interne pour renforcer les équipes sur base volontaire. Ce qui nous a conduits à organiser le travail des médecins et des infirmières hors de leurs compétences directes. En même temps, nous avons procédé à des formations accélérées d'opérateurs non habitués aux techniques d'oxygénation à haut débit. Enfin, il a fallu compenser l'absentéisme par des mesures de recrutement innovantes (appels aux pensionnés, création d'une banque-carrefour des talents…).»
L’hôpital s’est aussi adressé aux bonnes volontés les plus variées pour pallier les pénuries (couturières improvisées pour les masques et les blouses, bricoleurs de génie…). Enfin, un épidémiologiste a été embauché pour mieux comprendre l'évolution des contaminations, surtout pendant la deuxième vague, la plus puissante.
Les vagues suivantes se sont accompagnées de leurs problèmes particuliers. Ainsi, la période de la vaccination a demandé d’importants efforts pour organiser cette campagne et soutenir le personnel. Ce qui s'est fait en collaboration avec la médecine du travail. Pour un résultat plus que positif: il y a eu très vite 3.800 vaccinations (soit 85% du personnel) pour arriver aujourd'hui à plus de 92%.
«Comme ailleurs dans la société, nous avons été confrontés à des résistances contre la vaccination, et même à l'influence des réseaux sociaux complotistes», souligne Véronique Guilmot. L'hôpital a d'ailleurs dû se séparer d'un médecin à cette occasion. Pour lutter contre cette contagion, il a fallu multiplier les actions de communication et de sensibilisation. Des groupes de parole ont aussi été formés. «Cette vague-là, pendant la première moitié de l'année 2021, s'est aussi caractérisée par une perte de sens parmi les soignants. Nous avons connu des décrochages, des burn-outs, des abandons, des démissions... Nous avons dès lors mis en place une nouvelle cellule spécialisée. Et nous avons offert à ceux et à celles qui le souhaitaient quatre séances de coaching psychologique.»
Pendant ces mois-là, on a vu apparaître la question éthique délicate des patients qui refusaient la vaccination et qui se retrouvaient en soins intensifs. Ici encore, il s'est révélé nécessaire de prodiguer l'accompagnement nécessaire.
La dernière vague, celle du variant omicron, a provoqué énormément de contaminations dans la population. Et donc, parmi le personnel soignant. «Nous avons beaucoup travaillé sur l'absentéisme: nous avons dû tenir des statistiques journalières par service. Nous avons aussi introduit les flexi-jobs, une formule qui me semble prometteuse. Quant au télétravail structurel, il a été renforcé là où c'était possible.»
La pandémie a frappé de plein fouet un secteur qui était déjà en difficulté. On connaît les problèmes, le sous-financement, la diminution du nombre de lits, la pénurie d'infirmiers et d'infirmières, des métiers pas assez reconnus… «La crise a été un révélateur et un accélérateur. Elle a permis de transformer notre GRH pour rendre notre management plus humain. Nous sommes devenus acteurs pour gérer les risques, inventeurs pour résoudre les problèmes d'approvisionnement et de finances, développeurs pour les questions juridiques et administratives, compositeurs pour l'organisation et médiateurs afin d'apaiser le climat social.»
Pour Véronique Guilmot, il est important de ne pas perdre la trace de tous ces événements et des réponses qui ont été apportées. «Nous procédons aujourd’hui à un retour sur expérience en suivant une méthodologie rigoureuse, en mode participatif. Notre objectif est de capitaliser sur les leçons du passé pour identifier les priorités du futur.»
Le chantier reste vaste. «Nous devons entretenir notre flexibilité et notre agilité, améliorer encore notre capacité à réagir rapidement», assure Véronique Guilmot. «Pour y parvenir, il faudra abandonner la rigidité organisationnelle et les silos. Nous devons faire confiance à la spontanéité et à l’intuition. En définitive, nous allons devoir médicaliser le management et enrichir les soins par des pratiques de management.»
Mais par-dessus tout, et c'est bien le moins pour un hôpital, Véronique Guilmot insiste sur une chose: comme le stipule l'OMS, la santé associe le bien-être physique, le bien-être mental et le bien-être social. «Cette règle, nous nous devons de l'appliquer aux travailleurs de la santé. Pour eux, mais aussi pour les patients qui pourront alors bénéficier de soins de qualité.»
Véronique Guilmot s'est exprimée lors de notre congrès à Milan, les 12 et 13 mai derniers.
Cette institution qui accueille 1.154 lits agréés est située dans une zone de surmortalité relative par rapport au reste du pays. L'effet de conditions socio-économiques précaires. Pendant la pandémie, l'hôpital a accueilli 3.500 patients covid. Ce qui l'a classé comme deuxième hôpital du pays (sur 138 établissements) et premier en Wallonie.
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