Pour Céline Faidherbe, présidente de l’Association belge de la communication interne, sa discipline a un rôle central à jouer pour reconnecter le top management avec les collaborateurs. Tout comme la GRH. C’est d’ailleurs pour cela que la frontière entre les deux métiers paraît de plus en plus floue.
Texte: Liliane Fanello
Dans votre vision pour de l’Association belge de la communication interne (ABCi), vous défendez l’idée d’une ouverture vers la communauté RH. Pourquoi?
Céline Faidherbe: «Il existe aujourd’hui un mouvement de rapprochement naturel, voire nécessaire, entre communication interne et ressources humaines. Ces métiers ont longtemps évolué sur base d’informations données par des outils: les tableaux de bord, les instruments de gestion… Or, on voit aujourd’hui ces professionnels réfléchir à une autre connexion avec les collaborateurs. Du côté de la communication interne, il ne s’agit plus par exemple de faire percoler des messages du sommet de l'organisation vers la base, en passant d’un outil à l’autre, de manière assez mécanique. On sait qu’un taux d’ouverture ou de clic ne dit pas tout.»
L’évolution se pense-t-elle avec la GRH ou bien chacun évolue-t-il dans son coin?
Céline Faidherbe: «J’ai plutôt vécu des relations très frileuses entre la communication et la GRH en début de carrière. Chacun défendait son pré carré. Or, je vois qu’aujourd’hui les deux disciplines s’abreuvent aux mêmes sources des sciences sociales, s’ouvrent à de nouveaux champs comme la psychologie, la sociologie, la philosophie ou encore l’anthropologie. Lors de notre dernier congrès ABCi, nous avions étendu notre invitation aux collègues RH de nos membres. Ce fut une première très appréciée.»
Comment se traduit l’ouverture de l’ABCi vers la GRH?
Céline Faidherbe: «Cet élargissement du terrain de jeu se traduit clairement dans notre programme pour 2023, où nous allons aborder des thématiques qui se trouvent à la frontière entre communication et RH. Je pense notamment au volet Se projeter: les mutations sociétales et leurs impacts sur notre rapport au travail vont alimenter nos réflexions pendant une partie de l’année.»
Quelle différence faites-vous entre informer et communiquer?
Céline Faidherbe: «L’information est univoque et traitée de manière somme toute assez militaire: on vise une cible avec un message, et pour l’atteindre on va utiliser un outil. La communication est beaucoup plus équivoque. Elle va davantage tenir compte du profil des différentes parties prenantes. Elle peut aussi faire preuve d’une certaine vulnérabilité car elle n’a pas les réponses à toutes les questions. Être dans la communication, c’est laisser la place aux questions, engager la conversation avec les différentes parties prenantes. La communication, c’est prendre soin du destinataire final en l’intégrant dans ce dialogue de manière à ce que lui-même puisse apporter des réponses. Cet échange pourra alors amener de la créativité, de l’innovation, et donc des solutions… Car les solutions ne se trouvent pas uniquement du côté de la direction.»
Quelle est la juste place du communicant?
Céline Faidherbe: «La thématique de l’identité du communicant et de sa place nous tient fort à cœur à l’ABCi. Cela fera d’ailleurs l’objet d’un module de formation en 2023. Si certains communicants internes passent encore beaucoup de temps sur les outils, ils souhaitent pouvoir accompagner leurs entreprises autrement, en étant médiateurs entre un terrain et une direction, mais aussi en travaillant sur des aspects plus stratégiques. Selon moi, la posture du communicant requiert aujourd’hui de la neutralité, avec une parole plus indépendante, réaliste et authentique sur ce qu’est l’entreprise. Son rôle est aussi de faire remonter des messages du terrain auprès de la direction de manière à ce que celle-ci puisse en tenir compte. Je le vois dans ma pratique de communicante: on n’est plus dans l'enjolivement! Les collaborateurs attendent des messages qui reflètent la réalité et ne la travestissent pas.»
De toute façon, les collaborateurs vont de plus en plus sanctionner les langues de bois et la communication qui les infantilise…
Céline Faidherbe: «Absolument! Dans une entreprise, il faut à un moment avoir le courage de pouvoir dire ce qui va, mais aussi ce qui ne va pas.»
Le communicant doit aussi accompagner le dialogue social…
Céline Faidherbe: «Tout à fait. L’entreprise est un peu un miroir du monde dans lequel nous vivons, c’est-à-dire un monde bousculé par des crises et mutations successives, et de plus en plus rapides. L’entreprise est elle aussi challengée par ces différents chocs sociétaux. Comment fait-on pour conserver le respect de l’humain dans un monde hybride? Comment tenir compte du vieillissement de la population? Que faire des mutations en matière de diversité et d’inclusion? Les entreprises doivent aussi rendre des comptes sur ces sujets. Et c’est là que selon moi le rôle du communicant interne évolue: en accompagnant ces transformations et le dialogue social avec les collaborateurs.»
À terme, cela a-t-il toujours du sens de garder un service RH et un service communication interne distincts?
Céline Faidherbe: «Cela a toujours été une question: où placer la communication dans l’entreprise, surtout la communication interne? Doit-elle être toujours proche de la direction générale, ce qu’elle est souvent? Ou bien doit-elle intégrer les services RH, ce qui est parfois le cas? Je n’ai pas de réponse. Cela dépend de l’ADN et de l’histoire de chaque entreprise. Que l’interaction entre direction, département RH et communication aient lieu, c’est là l’essentiel!»
Néanmoins, le communicant a bien toujours sa place dans l’organisation…
Céline Faidherbe: «Oui! Si le communicant se remet en question, tout comme la GRH d’ailleurs, ce n’est pas pour dissoudre son profil et son identité, mais au contraire le redessiner. Je pense notamment que le communicant est là pour imprimer un rythme. Aujourd’hui, on pourrait communiquer tout le temps. Le risque est qu’au final, collaborateurs et managers de proximité soient bombardés en permanence d’injonctions. L’expertise du communicant permet de donner un rythme, et de prévoir aussi des moments de pause, de silence.»
Pourquoi ces silences sont-ils aussi importants à vos yeux?
Céline Faidherbe: «Ceux-ci sont sains car ils permettent de soigner le bien-être des collaborateurs. La vigilance du communicant en lien avec le terrain lui permet de sentir quand il est bon de communiquer ou de laisser les gens tranquilles. Pour que les messages puissent encore être reçus et compris. Il joue ainsi un rôle un peu rebelle dans l’organisation, rappelant à la direction qu’à un moment, la retenue est nécessaire sous peine de provoquer une saturation, un trop-plein, avec à la clé un risque de perte de sens et de désengagement interne. Tout comme il doit aussi veiller à communiquer en temps de paix. Il apporte ainsi une vision à long terme de la communication.»
Quand on vous entend, on ne peut s’empêcher de se demander comment on a fait pour perdre les bases à ce point.
Céline Faidherbe: «C’est vrai qu’aller à la rencontre, discuter et prendre soin de ses collaborateurs paraît tellement élémentaire. Aurait-on perdu le mode d’emploi?» ¶
Céline Faidherbe
Fonction
Présidente de l’Association belge de la communication interne
Chaque jeudi dans votre boîte de réception.