Ces biais qui gangrènent nos cerveaux

20 décembre 2022
Texte
Sofie Willox

Les coachs et les formateurs ont la mission de remettre en cause les modèles de pensée de leurs élèves. Mais eux-mêmes, sont-ils à l'abri des préjugés? Être conscient de ses erreurs de jugement est une qualité fondamentale pour les professionnels de la formation.

Texte: Sofie Willox

Nous prenons tous les jours des centaines de décisions. Vais-je mettre de la confiture ou du chocolat sur ma tartine? Je monte le son de la radio pendant les nouvelles? Quel e-mail ouvrirai-je en premier? Si nous réfléchissions longuement à toutes les options possibles avant de prendre l'une de ces décisions, nous n'arriverions à rien. Imaginez qu'au supermarché, vous lisiez attentivement la composition de chaque produit pour effectuer l'achat le plus rationnel… Cela serait très fatigant et finalement, peu efficace. Mais heureusement, nous faisons nos courses sans y penser. Mieux, nous prenons de nombreuses décisions sans même y prendre garde, de façon automatique. Notre cerveau utilise ici des raccourcis pour nous aider à naviguer facilement dans la vie. Mais il peut aussi nous tromper. C'est ce que l'on appelle les biais cognitifs.

Nous nous dupons nous-mêmes

Comme le précise Pierre Bayard en citant les travaux du psychologue Daniel Kahneman, «le biais cognitif est une forme de pensée irrationnelle à laquelle nous sommes portés à recourir dans notre représentation du monde et qui fausse donc, sans que nous nous en rendions compte, la relation objective que nous tentons de bonne foi de nouer avec lui.» Les individus créent leur propre réalité sociale subjective. Ce qui débouche sur des erreurs de perception, d'évaluation, d'interprétation logique.

En d'autres termes, nous n'évaluons pas une situation ou une personne d'une manière objective, rationnelle. Nous nous dupons nous-mêmes. Sur cette planète, chacun tombe dans le piège de l'erreur de jugement. Un travers inhérent au fonctionnement de notre cerveau. Se rendre compte de ses propres biais est la première étape qui vous permet de lutter contre vos préjugés et vos opinions irrationnelles. Une règle qui s'applique aux coachs, aux formateurs et aux accompagnateurs qui souhaitent augmenter le rendement de l'apprentissage. Quelques exemples.

Biais collectif

Ce biais décrit un problème: nous n'avons pas envie de nous opposer spontanément aux idées du groupe. Nous nous rendrions impopulaire, avec le risque de nous exclure (au moins mentalement) de nos pairs. Ce biais encourage les individus à rester en harmonie avec le groupe et à adopter des comportements conformistes. Dans de nombreux cas, ils mettront de côté leurs convictions pour suivre les opinions communes.

Nous évitons rarement cet écueil pendant les sessions de brainstorming. Un collègue lance une idée, le deuxième la développe et le troisième renchérit. Avant que l'on ne s'en rende compte, tous les participants se retrouvent dans le même tunnel de pensée qui les conduit à écarter inconsciemment de nombreuses autres options. Une chance perdue dans ce processus de création d'idées. On voit aussi émerger ce modèle quand chacun se présente au début d'une formation. La première personne donne son nom, sa fonction et ses hobbys par exemple. Et il y a fort à parier que le reste des participants adopteront la même structure pour parler d'eux.

Il faut une solide prise de conscience pour vous accrocher à votre idée de départ et ne pas vous joindre à l'avis général du groupe. En tant que formateur, vous pouvez éviter cette erreur de jugement en invitant les participants à écrire d'abord individuellement leurs idées et ensuite seulement à les partager de vive voix avec le reste de l'assistance. De cette manière, ils ne seront pas influencés par leurs voisins.

Le biais d'autorité

Autre biais: nous sommes naturellement tentés de croire celui qui détient une autorité. Quand votre médecin vous dit que tel médicament va soulager votre douleur, vous lui ferez très probablement confiance. Parce que votre médecin est un expert en la matière, et pas vous.

Dans le contexte des formations, le formateur est souvent perçu comme le cerveau de l'affaire. En étant le premier à donner son opinion, les autres seront tentés d'acquiescer, sans se montrer critiques. Un expert qui présente les résultats de son enquête sera rarement remis en question. Bien sûr, cela flatte son égo, mais dans un contexte de formation, ce n'est pas une bonne chose.

En tant que formateur, souhaitez-vous encourager vos étudiants à utiliser leur sens critique pour qu'ils forment leur propre réflexion? Alors, donnez votre avis ou votre réponse en dernier. Vous éviterez d'emporter vos auditeurs dans votre récit, sans leur permettre de se lancer dans un exercice de réflexion actif.

L'effet de halo et de klaxon

L'effet de halo et de klaxon influence notre jugement sur les autres sur la base de notre impression. Cet effet peut être positif (le halo compris comme une auréole): on reconnaît à quelqu'un plus de qualités positives que cela ne serait explicable rationnellement. Cela peut s'expliquer par le fait que le courant passe immédiatement, que l'on trouve quelqu'un d'attirant ou que l'on pense avoir trouvé l'âme sœur. L'inverse se produit aussi, c'est l'effet klaxon (compris comme un avertissement). Une première impression négative influencera durablement l'idée que l'on se fait de la personne. Un candidat arrive en retard lors de son entretien sans un mot d'explication ou d'excuse? Il est vraisemblable que vous vous forgerez d'entrée de jeu une opinion défavorable à son propos.

Plusieurs études montrent les conséquences dangereuses de cette erreur de jugement. Dans le monde de l'entreprise, les gens attirants, beaux, ont plus de chances d'obtenir une promotion. Les candidats qui ont un physique représentatif, c'est-à-dire qui correspond à la norme, sont embauchés plus facilement que d'autres. Mais on retrouve aussi ce biais dans le contexte de l'enseignement. Des chercheurs ont montré que des étudiants qui ont de bons résultats bénéficient d'une attitude plus attentive de la part des professeurs. Ce qui renforce leurs résultats et ceci, au détriment des étudiants qui ont de moins bonnes notes.

Les coachs, les formateurs et les facilitateurs feraient bien de mettre ces préjugés de côté. Il faut donner régulièrement la parole à chacun et mieux soutenir ceux qui en ont besoin. Dans ce cadre, lutter contre les stéréotypes n'est pas un luxe.

Dans cet article, nous avons décrit trois biais humains. Mais la science répertorie actuellement 188 erreurs de jugement. ¶

Pierre Bayard, Et si les Beatles n'étaient pas nés? Les Éditions de Minuit. 2022.

Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2. Les deux vitesses de la pensée. Flammarion. 2012.