La violence verbale est aussi néfaste que la violence physique

7 juin 2023
Texte
Francois Weerts

Le leadership toxique, on en parle beaucoup depuis quelque temps. Notamment à cause des abus constatés dans le parc d'attractions Plopsaland. Steven Poelmans, professeur de leadership à l’Antwerp Management School, aborde le problème sous l’angle de la psychologie sociale et organisationnelle et des neurosciences sociocognitives.

Pour le professeur Poelmans, le supérieur hiérarchique n'est pas l'unique responsable d’un leadership toxique. Il préfère parler d'un triangle toxique. Le premier élément mis en cause est bien sûr le comportement du supérieur lui-même, mais l’impact de l’environnement de l'organisation, de sa culture et de son secteur est un élément tout aussi important. Le professeur souligne qu’un contexte comme celui de Plopsaland, dans lequel la décroissance et la croissance se succèdent rapidement et entraînent successivement le licenciement et le réengagement d’employés, donne lieu à des tensions et à des difficultés.

«En faisant abstraction du cas de Plopsaland, si un CEO aime s’en prendre à ses subordonnés, les jeunes managers risquent d’y voir un modèle à suivre», explique Steven Poelmans. «Ils reproduisent alors un comportement toxique parce qu’ils pensent que c’est ce qu’on attend d’eux.»

Les témoins font partie de la solution

Les témoins sont le troisième élément du triangle toxique. Le professeur explique qu’il s’agit des collègues qui sont d’accord ou non avec ce qui se passe. « C’est là que réside le danger ou la solution. Si les collègues ne réagissent pas et laissent passer le comportement toxique, ils donnent leur consentement implicite. Généralement, une telle situation s’installe progressivement et les employés ne la voient pas arriver ou s’y habituent, un peu comme des grenouilles qui se trouvent dans une eau qui se réchauffe lentement. Pour toute personne qui fait son entrée dans l’entreprise, par exemple un stagiaire, l’atmosphère qui y règne est effrayante. Mais si les témoins réagissent, la solution n’est alors plus très loin.»

La valeur du feed-back contingent

D’après Steven Poelmans, la solution se trouve dans le feed-back contingent. Cela signifie que les témoins s’adressent à la personne adoptant un comportement toxique immédiatement après les faits. «Vous faites remarquer que le supérieur n’aurait pas dû injurier un ou une collègue, élever la voix ou aurait dû plutôt discuter d’un sujet en privé. Les personnes assertives, qu’elles aient été formées ou non, sont parfaitement capables de signaler cette limite. Bien sûr, tout le monde n’a pas le courage de contredire son supérieur. Avec une direction qui adopte un comportement toxique, il n’est pas facile de fournir un feed-back contingent. Ce rôle revient à la GRH, qui devrait mettre en œuvre les bonnes pratiques et servir de tampon, malgré la direction. Sa mission est de rappeler aux managers leur rôle et de responsabiliser les employés. Dans le cas contraire, les comportements toxiques deviennent inhérents à la culture.»

Le seuil de la douleur

Pour Steven Poelmans, le débat sur le leadership toxique ne doit pas occulter le fait que nous avons besoin de managers exigeants, qui doivent tirer le meilleur de leurs employés grâce à un leadership paradoxal, à la fois directif et empathique. «Le fait d’être exigeant, de devoir fixer des normes élevées et de vouloir repousser les limites n'est pas nécessairement synonyme de leadership toxique. Il faut toujours surveiller la limite. J’attache une grande importance à la violence verbale. Dans notre société et selon notre système juridique, il est possible d’insulter quelqu’un en toute impunité. Frapper quelqu’un au visage est par contre un acte qui sera puni. Or, les neurosciences nous apprennent que ces deux actes sont aussi graves l’un que l’autre. Il s’agit du seuil de la douleur. Nous savons que la douleur sociale et la douleur physique activent les mêmes régions du cerveau. Cette limite varie considérablement d’une personne à l’autre. Ce qui est déplaisant pour certains est drôle pour d’autres. Une tape innocente sur l’épaule pour l’un est un coup pour l’autre. Il est urgent que les gens prennent conscience que la violence verbale et la violence physique sont tout aussi néfastes l’une que l’autre.»