Les rituels font la cohésion

25 janvier 2023
Texte
Melanie De Vrieze

Anniek Gavriilakis en est sûre: il manque une chose dans les entreprises, les rituels. Ils augmentent la cohésion, le sens, l'engagement, l'énergie individuelle et nous aident à progresser. «La langue des rituels laisse une empreinte durable chez les individus parce qu'ils sont visibles et tangibles.»

Texte: Melanie De Vrieze / Photo: Erinke Blokland

Lien et sens. Ce sont les fils rouges de la carrière d'Anniek Gavriilakis. Elle a travaillé pendant quinze ans pour l'association Bond zonder Naam (le Mouvement sans nom) – dont les cinq dernières années comme directrice – et elle a été process manager de Labiomista, le parc artistique de Koen Van Mechelen situé dans le Limbourg. Depuis peu, elle se consacre aux rituels. «Je crois beaucoup à la puissance des rituels. Pendant des millénaires, les transitions importantes dans la vie, comme les naissances, le passage à l'âge adulte, l'amour et le deuil, ont été marquées par des rituels. Mais dans le monde de l'entreprise, nous avons oublié ce langage. Nous nous centrons sur la productivité et les résultats en perdant de vue la qualité des processus et l'intelligence relationnelle. Les rituels constituent une pause dans les activités quotidiennes et marquent un moment spécial, parce que nous ne pouvons pas avancer s'il reste des choses qui n'ont pas été digérées.»

Dimension humaine

Dans un environnement professionnel aussi, les rituels aident à aborder les transitions ou à les fêter. «J'encourage les managers à s'arrêter à certains moments. La valeur ajoutée et l'impact des rituels se situent dans l'attention portée aux émotions des salariés lors d'un départ soudain, une séparation, un licenciement, un départ à la retraite, une nomination ou l'accueil d'un nouveau collègue. Les rituels confortent la dimension humaine de l'entreprise.» La forme du rituel est toujours adaptée à la culture de l'organisation. «En utilisant des images, des gestes et des symboles appropriés, on active d'autres parties du cerveau pour avoir un accès plus rapide aux émotions.»

Dans les grandes transitions, comme un déménagement, un changement de nom de marque, l'arrêt d'une collaboration, une fusion ou un saut dans l'inconnu, il est important de libérer du temps pour vivre et sentir cet événement collectivement. Anniek Gavriilakis donne l'exemple de Steve Jobs. Au cours de l'un des célèbres congrès annuels d'Apple, il a fait placer un cercueil sur la scène et y a déposé de façon cérémonieuse l'ancien langage de programmation pour en finir définitivement avec lui.

«Quand nous avons besoin d'une catharsis ou d'une décharge émotionnelle, le rite peut alors nous aider. La langue du rituel peut donner plus de puissance à une formation en groupe, créer un élan dans un parcours de changement ou donner plus de fond à une action de team-building

Scepticisme

Anniek Gavriilakis regrette que les rituels ne soient pas plus répandus dans les entreprises. On les trouve trop nébuleux, ils sont trop éloignés de la rationalité. «Bien sûr, ils réclament de la part des participants une certaine ouverture d'esprit. Mais en sortant les individus de leur zone de confort, on libère l'innovation. Oser entrer dans l'inconnu, c'est aussi le sens des rituels. Il vaut mieux d'ailleurs les organiser à l'extérieur de l'entreprise, dans un parc ou un bois des environs.»

En fait, il ne faut jamais prendre les rituels trop au sérieux. L'humour en est un ingrédient indispensable. L'un des rituels classiques d'Anniek Gavriilakis consiste à jeter des assiettes par terre. «Admettez-le, où est-ce que vous pouvez avoir la chance de casser de la vaisselle?», sourit-elle. «Je suis à moitié grecque. Cette tradition exprime la gratitude. Ces assiettes ne contiendront plus jamais des plats aussi délicieux que ceux qui ont été servis, raison pour laquelle nous offrons ces récipients aux dieux. Par la même occasion, ce sont vos énergies négatives que vous jetez. Sur l'assiette, vous écrivez quelque chose dont vous voulez vous débarrasser. Cela peut être personnel, mais cela peut aussi concerner votre équipe ou votre entreprise.»

On lui demande souvent d'organiser un rituel au début, au milieu ou à la fin d'un processus de transformation. «Je libère les énergies quand il faut lancer certains processus. Mais j'interviens aussi quand des salariés sont dans une impasse ou quand une organisation souffre d'un problème qui n'est pas traité. Ce peut être le cas du départ brutal d'un CEO ou du licenciement glacial, inhumain, d'un collaborateur. Ici, on peut parler de traumatismes… À la fin de ce parcours, le rituel est une sorte de catharsis qui rend le changement visible et sensible.»

Faire lien

Récemment, Anniek Gavriilakis a accompagné l'équipe de direction et le nouveau CEO d'une société internationale pendant une intervention de deux jours. «Le précédent CEO a été promu au niveau du groupe et est devenu conseiller, mais il est toujours très présent parce que certaines erreurs ont été commises lors de son départ. Nous lui avons demandé de participer à notre session. Nous avons commencé un rituel pour clore cette histoire. Un rituel doit toujours avoir un effet constructif.»

Cette volonté de créer du lien, Anniek Gavriilakis l'a aussi mise en œuvre chez Labiomista, le parc de l'artiste Koen Vanmechelen. Il est situé à Zwartberg, une banlieue déshéritée de Genk, où elle a essayé de faciliter l'accès à la culture. «Quand nous inaugurions une œuvre d'art, nous associions les voisins. Mon rôle était de nouer des liens entre ce quartier difficile et le parc artistique.» La langue de l'art l'a bien aidée. «Nous proposions à notre public des symboles, des images, des gestes poétiques. Le rituel va au-delà des mots, de la raison, et dans toute sa simplicité, touche au plus profond de l'individu. Cela laisse des souvenirs pour la vie entière. C'est un moment qui vous construit.»

Pour l'association Bond zonder Naam, le lien est également central. Elle a développé un concept B2B pour les entreprises dans l'idée de relier l'organisation, les équipes et les salariés avec des personnes qui sont aux marges de la société, comme des détenus, des demandeurs d'asile ou des sans-abri. «Quand vous rencontrez quelqu'un qui vit très différemment de vous, vous ouvrez votre horizon. Vous vous montrez plus ouverts au changement. Exactement ce dont les entreprises ont besoin aujourd'hui.» ¶

ID

Anniek Gavriilakis

Fonction

Accompagnatrice de rituels