«Never waste a good crisis»: le leadership au temps du coronavirus

2 juillet 2020
Texte
Francois Weerts

«Never waste a good crisis.» Cette citation de Churchill a été utilisée à tort et à travers pour expliquer au secteur de l'horeca qu'il devait se réinventer, pour stimuler les initiatives environnementales ou pour conduire l'Europe à réexaminer son modèle de coopération. Un abus de langage? Oui et non. Car je pense que l'on peut profiter d'une crise comme celle-ci pour repenser le développement du leadership.

Texte: Karen Wouters

Comme le souligne J. Pfeffer dans Leadership BS, il faut d'abord apporter quelques nuances. L'industrie de la formation nous inonde de modèles qui décrivent effectivement le leadership mais qui négligent le volet du développement. Autrement dit, le discours actuel insiste beaucoup sur le type de leadership dont nous avons besoin pour résister à la crise pandémique. Et beaucoup moins sur la manière de faire évoluer les leaders pour qu'ils adoptent les bonnes attitudes. Quelles sont les méthodes les plus efficaces? Et comment faire son choix dans l'offre pléthorique qui se présente à nous?

Que dit la science?

Dans une formation classique en leadership, on acquiert de nouvelles connaissances ou on enrichit ses compétences. Mais le développement, lui, s'attache à augmenter notre complexité mentale. Être capable de mettre le doigt sur les points aveugles quand on observe son environnement est un signe de progrès. Si votre organisation veut s'assurer que ses leaders commencent vraiment à progresser, il doit d'abord comprendre ce que doit être un programme de développement destiné à des adultes.

Neuroplasticité

Les études montrent que même en avançant en âge, les adultes continuent à faire des bonds significatifs dans la complexité mentale. Notre cerveau conserve la capacité à se développer (neuroplasticité).

La théorie du développement des adultes distingue trois phases.

Socialized mind. Nous sommes déterminés par les normes et par les attentes de notre environnement direct.

Self-authoring mind. Nous devenons capables d'évaluer les attentes du monde extérieur par rapport à notre boussole interne et de faire des choix.

Self-transforming mind. Nous pouvons dépasser nos schémas de pensée et les considérer comme l'une des visions du monde possibles.

La recherche montre que la majorité de la population adulte (jusqu'à 58%) ne dépasse pas le stade du socialized mind. Nous restons avant tout de fidèles soldats au service d'une équipe ou d'une organisation.

Vers le niveau de l'autotransformation

Une observation est encore plus dérangeante: un tout petit groupe (7%) est capable d'atteindre la dernière phase (self-transforming). Mais que nous faudrait-il aujourd'hui? La crise de la pandémie nous a placés brutalement devant la réalité: à tous les niveaux de l'organisation, nous avons besoin de collaborateurs capables de travailler en toute autonomie, chez eux ou au bureau, et qui peuvent prendre des initiatives (self-authoring). Et nous avons besoin de leaders qui réinventent leur entreprise ou qui voient des connexions avec des systèmes situés à l'extérieur de leur champ de vision immédiat (self-transforming). Comment peut-on élever la complexité mentale de ses collaborateurs et de ses leaders?

Le développement du leadership au temps du virus

Cette crise représente une opportunité pour le développement. Les questions qui se posent à nous désormais nous font prendre conscience plus que d'ordinaire des limites de notre réflexion. Local ou international? Allons-nous continuer à télétravailler? Les hypothèses sous-jacentes sont mises à nu, nous nous rendons compte que nos modèles actuels ne sont que des options avec leurs limites, et nous cherchons de nouveaux modèles, souvent plus globaux, pour aborder cette complexité.

Pour qu'une organisation exploite l'atout du développement, elle doit admettre plusieurs choses.

• Nous continuons à progresser et à nous développer bien après notre vingtième anniversaire.

• Le développement demande du temps et doit faire partie idéalement de l'activité quotidienne.

• Le développement s’appuie sur des défis que l'on se donne à soi-même et que l'on veut relever pour évoluer.

• Il est important de faire attention aux émotions quand on veut aider quelqu'un à élargir sa vision. Remettre des certitudes en question provoque souvent de fortes émotions.

• Une réflexion continue, approfondie, structurée et active est nécessaire pour mener à bien l'évolution. Y penser de temps en temps ne suffit pas.

• L'organisation doit procurer la sécurité nécessaire pour affronter les risques qui apparaissent quand on veut changer son regard sur le monde.

Pour en savoir plus

• Kegan, R., & Lahey, L. L (2009). Immunity to change: How to overcome it and unlock potential in yourself and others. Boston, MA: Harvard Business Press.

• Kegan, R., Lahey, L. L., & Miller, M. L. (2016). An everyone culture: becoming a deliberately developmental organization. Boston, MA: Harvard Business Review Press.

• Pfeffer, J. (2015). Leadership BS. New York City, NY: HarperCollins Publishers.

ID

Karen Wouters

Fonction

Professeure en leadership de l’Antwerp Management School