Alors que le tribunal du travail de Bruxelles a décidé, dans son jugement du 8 décembre, que les coursiers occupés par Deliveroo le sont en tant que travailleurs indépendants, la Commission européenne a déposé le 9 décembre une proposition de directive visant à améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique. Cette proposition prévoit une présomption – réfragable – de contrat de travail.
Texte: Angela Broux et Frédérique Gillet
Le développement de l’économie de plateforme révolutionne l’organisation du travail. La plupart des travailleurs actifs via les plateformes de travail numériques le sont comme indépendants. Cette position ne présente pas les mêmes protections que celles applicables aux salariés. Elle peut par ailleurs, parfois, cacher une situation de faux indépendant. Sur les 28 millions de personnes actuellement occupées au sein de l’Union européenne par l’intermédiaire de ces plateformes, 5,5 millions pourraient être exposées à un risque de classification erronée de leur statut (1).
La question du statut de ces travailleurs de plateformes se pose donc. Elle a donné lieu à plus de 100 décisions judiciaires et 15 décisions administratives au sein de l'Union européenne. Si dans la plupart des cas, les juges ont décidé de requalifier les indépendants en salariés, certaines décisions ont confirmé le statut d'indépendant. En outre, de nombreuses décisions doivent encore être prises (2).
Qu’en est-il du jugement rendu par le tribunal du travail de Bruxelles le 8 décembre 2021 concernant les coursiers Deliveroo?
Dans cette affaire, le tribunal du travail de Bruxelles a décidé que les coursiers Deliveroo devaient être considérés comme des indépendants et non comme des salariés. Pour le tribunal, si la présomption applicable dans le secteur du transport d’existence d’un contrat de travail trouve en l’espèce à s’appliquer, il convient de la renverser compte tenu, en particulier, des éléments suivants: l'absence du pouvoir de sanctionner les coursiers (en cas de refus du trajet proposé), la liberté pour ceux-ci d'organiser leur propre travail (sans suivre notamment un itinéraire particulier) et leur temps de travail. Un appel sera certainement interjeté.
Que prévoit la proposition de directive déposée le 9 décembre 2021 par la Commission européenne visant à améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique?
La finalité recherchée est double: promouvoir les conditions de travail des travailleurs de plateformes tout en soutenant la croissance durable des plateformes de travail numériques au sein de l’Union européenne.
Afin de garantir aux travailleurs de plateformes un accès aux droits applicables en matière de travail et de protection sociale, la proposition prévoit une présomption réfragable: la plateforme de travail numérique et le travailleur de plateforme sont présumés, de manière réfragable, être liés par contrat de travail lorsque la plateforme exerce un «contrôle de l’exécution de travail». La condition de contrôle est supposée remplie lorsqu’au moins deux des conditions prévues par la proposition sont rencontrées. Il faut alors s'intéresser à plusieurs critères:
• la fixation du salaire;
• la supervision du travail ou des absences par la plateforme;
• la fixation de règles en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service;
• la possibilité pour le travailleur d’accepter ou de refuser des tâches, de sous-traiter ou se faire remplacer;
• la possibilité de constituer sa propre clientèle ou d’effectuer des travaux pour un tiers.
Cette présomption s’impose à tous (en ce compris aux organismes de sécurité sociale). Les États membres devront toutefois prévoir la possibilité de la renverser.
Pour assurer l’effectivité de cette présomption, la proposition prévoit également une obligation d’information des travailleurs des plateformes et de leurs représentants, une obligation de déclaration du travail sur plateforme (concernant le nombre de personnes effectuant régulièrement un travail de plateforme, leur statut, leurs conditions de travail générales) et un partage de ces informations avec les autorités compétentes (notamment l’ONSS et l’inspection du travail), ainsi que la mise en place d’un système de protection contre le licenciement pour les travailleurs (salariés et indépendants) qui estiment avoir été licenciés (ou victime d’une mesure équivalente, telle que la désactivation du compte).
Il conviendra donc d’être attentif au sort qui sera donné à cette proposition de directive et dans un second temps aux dispositions adoptées au niveau national afin de la transposer.
Si la proposition n’exclut pas que le travailleur de plateforme soit occupé comme indépendant, ceci ne sera possible (si la présomption trouve à s’appliquer) que moyennant le renversement de la présomption d’existence d’un contrat de travail. L’adoption de cette présomption amènera inévitablement les plateformes à revoir leur mode de fonctionnement.
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Angela Broux et Frédérique Gillet sont avocates de DLA Piper UK LLP
1. De Groen W., Kilhoffer Z., Westhoff L., Postica D. and Shamsfakhr F. (2021). Digital Labour Platforms in the EU: Mapping and Business Models (https://www.ceps.eu/ceps-publications/digital-labour-platforms-in-the-eu/) et https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_6605
2. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_6605
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