Nancy De Coensel Nancy De Coensel
Texte
Patrick Verhoest
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Wouter Van Vaerenbergh

Misez sur les leaders!

2 novembre 2022
Un employé heureux fera un client heureux. Du coup, le service RH a tout intérêt à favoriser le bonheur au travail. Les experts de notre table ronde considèrent le bonheur au travail comme une responsabilité partagée, dont les dirigeants sont les premiers garants.

Un employé heureux fera un client heureux. Du coup, le service RH a tout intérêt à favoriser le bonheur au travail. Les experts de notre table ronde considèrent le bonheur au travail comme une responsabilité partagée, dont les dirigeants sont les premiers garants.

Pour Eva Deschans (AG Health Partner), le bonheur au travail comporte quatre dimensions. La satisfaction constitue le premier niveau. Elle implique notamment une diversité suffisante des tâches, un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée et le soutien des collègues. L’ambiance sur le lieu de travail constitue le deuxième niveau. Cet aspect est influencé par les personnes avec lesquelles vous travaillez et concerne l’atmosphère générale, des relations qui ont du sens et la considération nécessaire. «La troisième dimension, l’engagement, vous permet de définir des objectifs motivants et de mobiliser vos forces. «Vous pourrez alors vous préoccuper de la quatrième dimension: le sens. Cela dit, l’épanouissement professionnel dépend de votre type de travail, de la phase de vie dans laquelle vous vous trouvez et du style de bonheur que vous recherchez.»

Nancy De Coensel (Bakker & Partners) est du même avis, mais souligne que le bonheur au travail est un concept personnel. «Il est difficile d’en établir une définition, car tout dépend de la phase de vie dans laquelle vous vous trouvez et de vos priorités. Ces priorités varient dans le temps. Elles peuvent concerner l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, mais aussi le plaisir, l’autonomie ou les connaissances. Nous devons chercher ce qui est source d’énergie pour les salariés.»

Pour Ilse Claes (Democo Group), cette énergie est essentielle. «Tant que votre travail vous procure plus d’énergie qu’il ne vous en demande, nous pouvons parler de bonheur au travail. C’est primordial pour se sentir bien au travail. Pour certains, cela signifie travailler avec des chiffres, pour d’autres, gérer du personnel.»

Selon Ingrid Larik (Broederlijk Delen), le bonheur au travail est un terme connoté, un mantra. Il est important de s’appuyer sur ses motivations personnelles: «Le travail doit correspondre à vos valeurs, à ce que vous êtes et à ce que vous défendez. Vous devez vous sentir bien au bureau. J’en suis moi-même un exemple. J’ai toujours cherché un sens à mon travail, mais ce n’est qu’avec mon employeur actuel que j’ai trouvé une harmonie entre mes valeurs et celles de l’organisation.»

D’après Siviglia Berto (B-Tonic), le bonheur au travail est un sentiment de satisfaction durable. Il repose sur l’équilibre entre la solidarité, l’autonomie, la confiance et la considération. «Les défis doivent être enthousiasmants et il faut se retrouver dans l’organisation. Le lien avec l’employeur se manifeste différemment d’une personne à l’autre. Certains trouvent leur bonheur dans une journée de travail de huit heures. Nous n’avons pas tous besoin d’être des entrepreneurs.»

Elke Vandewalle (Beliving) souligne l’importance de se sentir chez soi dans l’entreprise. «La culture est primordiale, tout comme le fait d’être entouré d’une équipe agréable. Dans un monde idéal, nous devrions être en mesure d’établir une définition du bonheur au travail pour chacun.»

Les parties prenantes

Qui est responsable du bonheur des travailleurs? Pour Elke Vandewalle, il incombe aux employeurs de faire des propositions. «Il appartient toutefois à chaque employé de saisir les occasions pour faire de ce bonheur une réalité. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. L’employeur doit jouer un rôle de facilitateur et composer une offre qui a pour but de rendre le collaborateur heureux.»

Selon Eva Deschans, il existe quatre parties prenantes principales. Lorsque les employeurs veulent garder leurs collaborateurs et attirer de nouvelles recrues, il est important qu’ils se concentrent sur le bien-être et le bonheur au travail. Il incombe souvent au service RH de mettre en œuvre de tels projets. «La GRH peut, dans certains cas, compter sur le soutien du service de prévention. De son côté, le manager joue un rôle crucial. Le développement des soft skills des leaders, comme la communication et le coaching, influence beaucoup plus l’organisation que les hard skills. Enfin, le collaborateur doit surtout se montrer prêt à participer aux initiatives que l’employeur organise pour lui.»

Les organisations doivent soutenir leurs leaders, estime Siviglia Berto. «Aujourd’hui, les responsables ont beaucoup de choses à gérer. Cette situation met beaucoup de pression sur leurs épaules, pression qui vient à la fois d’en haut et d’en bas. Lorsqu’un collaborateur s’en va, on met souvent la faute sur leur dos. Le métier de manager ne s’improvise pas. C’est pour cette raison que vous devez être prudent lorsque vous laissez des experts accéder à une fonction dirigeante. Certaines compétences humaines comme l’intelligence émotionnelle, la capacité d’écoute et l’empathie, leur font parfois défaut. Or, ce sont des clés essentielles pour garantir le bien-être et le bonheur au travail.»

Ingrid Larik: «La fonction de responsable est désormais plus centrée sur les résultats, la capacité à déléguer, à écouter et à former. Les supérieurs hiérarchiques doivent s’engager à nouer le dialogue. Un bon leader fera une équipe solide. Le bonheur au travail devient alors une conséquence logique. Il ne faut pas sous-estimer l’importance d’un bon leader pour le bien-être.»

Attentes

Le bonheur au travail est étroitement lié à la concordance des besoins des employés et des attentes des employeurs, affirme Nancy De Coensel. Tout le monde n’a pas besoin d’atteindre le sommet: «C’est cette idée qui est à l’origine du principe de Peter. Aujourd’hui, de plus en plus de nos clients misent sur l’élargissement et l’enrichissement. La mobilité horizontale contribue tout autant au bonheur au travail.»

Siviglia Berto remarque souvent dans les offres d’emploi que les entreprises ont des attentes trop élevées concernant leurs nouvelles recrues: «Nous devons attirer des personnes pour les qualités qu’elles peuvent apporter. Si elles sont en ligne avec l’atmosphère et les valeurs de l’entreprise, cela crée déjà un terrain propice au bonheur au travail.»

Ilse Claes constate la même chose chez Democo Group. «Si quelqu’un veut travailler pour notre entreprise parce qu’elle l’attire, c’est déjà un bon début. Avant, nous cherchions l’oiseau rare qui remplissait toutes les exigences du poste. Ce n’est plus le cas. Nous recrutons maintenant des candidats qui nous correspondent et cherchons ensemble la fonction qui leur convient le mieux. Nous les entourons de collègues qui leur sont complémentaires, qui peuvent les aider à combler leurs lacunes. C’est pour cette raison que nous accordons tant d’importance à la composition des équipes. Nous disposons d’équipes flexibles par chantier, une approche qui favorise le bonheur au travail. L’important est que les collaborateurs se sentent bien au sein de leur équipe et dans leur fonction. Ils savent qu’ils ont le droit de faire des erreurs lorsqu’ils évoluent dans un environnement sûr.»

Communication

Il faut avant tout communiquer ouvertement et partager les meilleures pratiques, souligne Siviglia Berto. «Les équipes moins fortes peuvent alors apprendre de celles qui sont plus avancées. Ainsi, tout le monde sait qu’il est permis de commettre des erreurs. Cela permet aux organisations et aux collaborateurs d’évoluer.»

Nancy De Coensel privilégie une culture de communication ouverte. «Les collaborateurs doivent sentir qu’ils peuvent s’exprimer à tout moment, de manière formelle et informelle. Cette communication s’applique aux points positifs et négatifs. Plus tôt vous êtes au courant des situations problématiques et plus vite vous pourrez agir auprès des personnes qui rencontrent plus de difficultés. Le responsable peut ainsi intervenir rapidement et engager un dialogue.»

C’est une responsabilité supplémentaire pour le supérieur hiérarchique. Ingrid Larik souligne l’importance du rôle de facilitateur des responsables. «Les employés n’osent se livrer et nommer les problèmes que lorsque ce climat de communication ouverte règne et que le comportement du manager est exemplaire.»

Évolution positive

Pour Eva Deschans, les managers doivent d’abord s’occuper de leur propre bonheur au travail. «Ils doivent savoir d’où ils tirent leur énergie, où se trouvent leur centre d’intérêt, leur but et leur bonheur, et le partager avec les membres de leur équipe. Ils doivent leur communiquer clairement les objectifs, la mission et les attentes. Les responsables ne doivent pas avoir peur de se montrer vulnérables et d’admettre qu’ils ne savent pas tout. Cela crée une sécurité psychologique pour les autres.»

Ilse Claes voit à cet égard une évolution positive dans le monde de la construction. «Un changement s’est opéré dans notre monde plutôt masculin. Nos responsables de chantier – souvent costauds – ont appris à exprimer leurs sentiments. Cela marque un véritable progrès.»

La pandémie a également entraîné des changements, ajoute Siviglia Berto. «On accorde davantage d’importance au bien-être et au bonheur au travail. Dans des conditions de travail difficiles, le rôle du responsable est devenu encore plus important. Il devient la pièce maîtresse de toute forme de bien-être dans l’équipe. Je pense que l’importance de ce rôle de coach va accroître à l’avenir.»

Flex Income Plan

Pour Eva Deschans, le Flex Income Plan est la clé du bien-être et du bonheur au travail. «Il devrait contenir des volets qui renforcent le bien-être. J’en reviens à nouveau au rôle de facilitateur du service RH. L’employeur fait des propositions et l’employé choisira parmi elles. Autant lui soumettre de quoi améliorer son développement personnel et son bonheur et négliger les nouvelles jantes pour la voiture de société.»

Siviglia Berto espère qu’il sera possible de dégager un budget bien-être à l’avenir. «Vous choisissez des programmes qui vous apprennent à faire plus d’exercice, à manger plus sainement ou à mieux dormir et d’autres choses qui vous procurent plus de bonheur.»

Nancy De Coensel voit apparaître des coachs de carrière internes et externes dans les organisations. «Ils encouragent les employés à travailler de manière proactive sur leur bonheur au travail. Il s’agit d’une évolution positive.»

Chez Democo, le département du personnel paie lui-même les séances avec le psychologue si les collaborateurs en ont besoin, ajoute Ilse Claes.

Dès la phase de recrutement

Le bonheur commence dès le recrutement. Sur ce point, les experts présents autour de la table sont d’accord. Siviglia Berto: «Les personnes doivent avant tout s’identifier à la culture de votre entreprise. Ne mettez pas trop d’exigences concernant le poste dans vos offres d’emploi, mais évoquez plutôt vos valeurs. C’est pour cette raison que je préconise le recrutement par des employés au sein de votre entreprise. Ils savent si un candidat correspond à la culture.»

Cela fait longtemps que Nancy De Coensel ne propose plus des profils qui remplissent toutes les cases à ses clients. Elle examine les points forts de la personne et du client. «Nous sortons des sentiers battus et suggérons des candidats qui correspondent à la culture et sont complémentaires au responsable et à l’équipe. Parfois, le profil du candidat proposé est très différent de ce que le client avait initialement en tête. Une bonne concertation fait que le client ose passer le pas et cela procure une grande satisfaction par la suite lorsque les clients font à nouveau appel à nous.»

Elke Vandewalle met surtout l’accent sur la culture. Elle organise des actions de team building et se concentre sur les responsables. «Pourtant, il est souvent difficile d’obtenir l’adhésion de tous lorsque, comme nous, vous travaillez de manière décentralisée.»

Conclusion d'Eva Deschans: «Agir en faveur du bonheur au travail n'est pas une initiative isolée. Cela fait partie d'une politique globale du bien-être qui se traduit par une diminution du stress, des maladies et par une augmentation de la motivation et de la cohésion. L'investissement en vaut donc la peine.» ¶

Siviglia Berto, Ilse Claes, Eva Deschans, Ingrid Larik, Elke Vandewalle Vlnr: Siviglia Berto, Ilse Claes, Eva Deschans, Ingrid Larik, Elke Vandewalle