La crise nous encourage à réorganiser le vivre-ensemble
En 2021, on n’en aura pas fini avec le télétravail. Tous les prévisionnistes misent sur une intensification de cette formule plébiscitée par les employeurs comme par les employés. Mais comment, dans ces conditions, préserver l’action collective? C’est la question que pose Laurent Taskin, professeur de la Louvain School of Management.
Employeurs et salariés semblent assez satisfaits de la généralisation du télétravail. Est-ce un contentement de façade?
Laurent Taskin: «D'après les retours que nous en avons, oui, les entreprises considèrent le télétravail d'un œil positif. Pour une bonne raison: grâce à lui, les processus ont continué à tourner malgré la pandémie, l'activité n'a pas connu d'interruption. Du moins dans les secteurs qui n'étaient pas contraints de fermer. Les salariés expriment eux aussi leur satisfaction. Le télétravail leur permet de retrouver un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle. Ils parviennent à mieux s’organiser tout en diminuant les longs temps de déplacement vers le bureau. Mais l'enjeu fondamental est ailleurs. Il faut désormais réorganiser le vivre-ensemble.»
La crise n’a pas créé le télétravail. Le New Way of Working en faisait déjà un point central.
Laurent Taskin: «On assiste à un délitement du collectif depuis quelques années. Avant le premier confinement, il était déjà très rare de voir dans une entreprise tout le monde sur place et en même temps. Les managers s'en plaignaient. Dans sa forme présentielle, le travail subissait déjà de profondes modifications. La pandémie a accéléré la transformation. Pourtant, comme le montre l’histoire du salariat, l'organisation est plus performante, elle affiche des performances économiques plus durables quand le travail est fondé sur le collectif. Il s’est caractérisé pendant longtemps par une unité de temps, de lieu et d'action. Et l’entreprise est le lieu de cette action collective organisée. Le travail repose sur les relations sociales qui l'enrichissent. Il est spatialisé aussi, c'est-à-dire qu'il s'effectue dans des lieux définis qui permettent de tisser des liens grâce à la proximité physique.»
Le management a-t-il une responsabilité particulière?
Laurent Taskin: «La manière dont le télétravail est organisé révèle la culture managériale de l'entreprise. L'autogouvernance peut déboucher sur le sentiment d'être abandonné quand on travaille chez soi. Un contrôle excessif donnera l’impression d'une absence de liberté. On en revient ici au rôle clé et à la fragilité du management de première ligne. Le collectif tient grâce à ces responsables. Le télétravail tient aussi grâce à eux. Or, les managers ne sont pas toujours valorisés dans leur rôle d’encadrement et d’animation des équipes. Il faudra les former, les évaluer et les valoriser dans cette fonction qui va devenir encore plus importante.»
Quelles sont les approches du travail à distance que l’on voit à l’oeuvre dans nos organisations?
Laurent Taskin: «On peut avoir une approche froide, fondée sur la recherche d'efficacité. Ici, ce qui compte, c'est l'économie réalisée dans les infrastructures, la solution apportée aux problèmes de mobilité, la facilité d'organiser des réunions sans prévoir de coûteux déplacements. Ce système repose sur le travail transactionnel: il s'agit alors de fournir le résultat d'une tâche dans un délai déterminé. On peut parfaitement s’en satisfaire, c’est un choix à faire par l'entreprise et, singulièrement, par la GRH. Cette stratégie est peut-être efficace à court terme. L'est-elle à long terme? De nombreuses études démontrent que nous recherchons dans notre vie professionnelle autre chose que le salaire. Nous voulons que notre travail ait du sens, nous avons envie de reconnaissance, nous voulons du lien, nous voulons de la gratuité. La gratuité, ce sont ces petits coups de main que l'on se donne au bureau, ces petites marques informelles de solidarité que l'on ne peut manifester qu'en étant présents les uns aux autres. En réalité, je pense que le travail se nourrit d'autres choses que de rapports purement transactionnels.»
Comment restaurer cette action collective?
Laurent Taskin: «Il est clair que l’on télétravaillera plus demain qu'hier. Ceux qui refusaient cette solution l'introduisent dorénavant par petites doses. Les autres en augmenteront encore la fréquence. Jusqu'où peut-on aller? La recherche montre que le meilleur équilibre est atteint avec deux jours de télétravail par semaine. C'est à cette fréquence qu'on engrange le plus de bénéfices et qu'on limite le mieux les inconvénients. Car, des inconvénients, il y en a. Au premier rang desquels le manque de contacts, l'érosion de la convivialité. On ne travaille plus ensemble, on ne vit plus ensemble. Ce sont des griefs qui reviennent régulièrement dans les enquêtes. Au fond, la mise à distance révèle toute l'importance de la présence. Avant la crise, on concentrait ses efforts sur la régulation des absences. Qui pouvait télétravailler? À quelles conditions? Combien de temps? Aujourd'hui, ce sont les présences qu’il faut organiser. Cette mission devrait occuper l'essentiel des forces des départements RH. Les entreprises ont besoin d’experts capables de gérer des équipes. Tout l'objectif, désormais, est de remettre le collectif au cœur de la GRH. À elle de l'animer, de le reconstruire.» ¶
1. Prenez soin de vous
2. Organisez le travail chez vous
3. Maintenez le sentiment d'appartenance au collectif
4. Préparez l'avenir
Sergio Altomonte, François Lambotte, Benedicte Schepens et Laurent Taskin (UCLouvain), réunis par l'action Louvain4Work, proposent une synthèse pratique et pluridisciplinaire actualisant une série de recommandations issues de leurs travaux de recherche.
https://uclouvain.be/fr/decouvrir/actualites/teletravail-comment-tenir.html