Philippe Mercier Philippe Mercier, DRH Samusocial de Bruxelles
Texte
François Weerts
Image
Wouter Van Vaerenbergh

Comment réussir sa transformation?

11 avril 2023
Notre âme, c'est l'urgence. Il faut répondre à des situations extrêmes inopinées.
La crise migratoire ne cesse de remplir les colonnes des journaux. La guerre en Ukraine a envoyé un flot de réfugiés. Et le sans-abrisme est toujours plus aigu. C'est sur ce terrain difficile qu'interviennent les cinq cents collaborateurs du Samusocial de Bruxelles. Rencontre avec son DRH, Philippe Mercier.

La crise migratoire ne cesse de remplir les colonnes des journaux. La guerre en Ukraine a envoyé un flot de réfugiés. Et le sans-abrisme est toujours plus aigu. C'est sur ce terrain difficile qu'interviennent les cinq cents collaborateurs du Samusocial de Bruxelles. Rencontre avec son DRH, Philippe Mercier.

Le Samusocial revient de loin…

Philippe Mercier: «Oui, les choses ont bien changé depuis les polémiques de 2017. Pour redresser la situation, il a fallu mettre en place une toute nouvelle structure juridique. Le Samusocial est désormais une association de droit public régie par une ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale. Et le personnel a été transféré dans cette nouvelle structure juridique en mai 2019. Pour ma part, je suis entré au Samusocial en juillet 2019 avec pour mission de réorganiser le département des ressources humaines. Je devrais dire organiser parce que son fonctionnement en était réduit à une administration des salaires…»

Quelles règles de gouvernance respectez-vous?

Philippe Mercier: «Notre Conseil d'Administration est composé de 5 membres représentants le Collège réuni de la Cocom et 5 autres issus de la société civile, dont le président. S'y ajoutent deux commissaires du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale qui disposent d’une faculté de blocage. Nous sommes également soumis à des audits externes. En conséquence, le Samusocial se doit de respecter toutes les règles de gouvernance et de transparence qui prévalent dans le secteur public, et va au-delà dans de nombreux cas. Cela dit, nous devons demeurer les plus réactifs possible. Notre âme, c'est l'urgence. Il faut répondre à des situations extrêmes et inopinées. Par ailleurs, nous collaborons avec des organismes comme BELRefugees (Plateforme Citoyenne de soutien aux réfugiés), MSF, Médecins du Monde et d’autres associations du secteur. Ces partenariats, qui créent une dynamique positive pour tous les acteurs, sont également contrôlés.»

Combien de personnes travaillent pour le Samusocial?

Philippe Mercier: «Au 28 février, nous employions 508 personnes précisément. En été, nous réduisons la voilure pour parvenir à 450 salariés environ. Nous avons 60% de CDI, le reste étant des CDD qui nous permettent d’ajuster le volume de nos effectifs. Quant aux métiers que l'on retrouve chez nous, ils sont très variés. Nous comptons 71 fonctions: beaucoup de travailleurs sociaux, mais aussi des infirmiers et des infirmières, des assistants sociaux, des agents d'entretien, des veilleurs de nuit, des éducateurs…»

Faites-vous des efforts particuliers en faveur de l’insertion socioprofessionnelle, ce qui serait en ligne avec votre cœur de métier?

Philippe Mercier: «Nous estimons en effet qu’il en va de notre devoir. Le Samusocial engage et forme une centaine de personnes par an sous contrat de travail de type Article 60. Par le biais de ces contrats temporaires, des CPAS mettent à notre disposition des personnes en fin de droits afin qu’elles puissent les récupérer. Par la suite, certains sont embauchés au Samusocial sous CDI ou CDD. L'avantage pour eux? Ils retrouvent l’accès à leurs droits sociaux mais surtout, gagnent une expérience professionnelle supplémentaire. De plus, nous mettons un point d'honneur à les aider dans leurs démarches ultérieures. Le département RH dispose d’une cellule d’insertion socioprofessionnelle spécialisée qui les guide dans leur parcours.»

Quels sont les problèmes typiquement RH que vous rencontrez?

Philippe Mercier: «Chez nous, le sens du travail n'est pas en question: chacun sait pourquoi il se lève le matin! Ce qui n’ôte rien à la pénibilité de nos activités. Nos collaborateurs gèrent des problèmes humains et de temps en temps, les chocs peuvent être brutaux. Difficile de dire à un sans-abri que nous n'avons pas de place pour lui. Difficile aussi de s'opposer à un mari qui vient chercher son épouse une arme à la main! En fait, les souffrances que nous gérons sont parfois extrêmes, les violences sexuelles ou intrafamiliales par exemple, et bien d’autres situations humainement douloureuses à vivre. Cela laisse des traces. Donc, l'impact sur le bien-être mental est réel. Et ceci, à tous les niveaux, du veilleur de nuit aux agents de terrain.»

Avez-vous installé une politique pour lutter contre les blessures psychiques?

Philippe Mercier: «Pour la gestion des incidents critiques (agressions, violences, décès dans un centre...), le Samusocial a institué un Plan interne d’intervention psychosociale (PIIP). Ce plan prévoit une intervention d'une équipe interne du Samusocial auprès de travailleurs qui ont vécu un incident critique. Cela consiste à rencontrer les personnes, leur permettre d'exprimer leur ressenti et leur vécu et évaluer avec elles l'éventuel besoin de suivi. Il n'empêche qu'après un incident grave, le retour au travail reste délicat. Être capable de se mettre à distance n'est pas simple, d'autant que nos collaborateurs ont un sens de l’engagement très élevé. Ils peuvent parfois tomber de haut… J’ajoute qu’en cas de violences graves, nous portons systématiquement plainte. Pour que la personne concernée et le Samusocial soient considérés comme des victimes à part entière.»

Quels sont vos rapports avec les partenaires sociaux?

Philippe Mercier: «Le Samusocial dispose de peu de marge de manœuvre dans les négociations salariales puisque nous devons appliquer des barèmes. Nous sommes contraints par notre environnement de financement: nous dépendons de subventions annuelles dont le cadre est fixé en dehors de l'organisation. Ce n'est pas toujours facile pour les syndicats: leurs revendications doivent souvent être portées à d’autres échelons que celui de l’organisation. Ceci étant, il nous est déjà arrivé de présenter ensemble, syndicat et direction, une proposition auprès de notre ministre de tutelle. Cela dit, nous souhaitons conserver un dialogue continu avec les partenaires sociaux. Nous avons installé un dialogue structuré, organisé les premières élections sociales en 2020 et entrepris des réunions régulières avec la délégation syndicale. Cela ne veut pas dire que nous tombons toujours d’accord et nos appréciations peuvent être divergentes mais nos rapports sont basés sur le respect et la confiance.»

Quel est votre objectif aujourd’hui?

Philippe Mercier: «Nous voulons continuer à professionnaliser notre GRH. Nous voulons considérer nos travailleurs sur le terrain comme des partenaires en leur offrant des solutions concrètes. Il faut leur faciliter la vie. En même temps, le fonctionnement historique de notre institution est plutôt organique, il s'agit de s'adapter rapidement à des situations d'urgence. Mais dans les fonctions de support, il est nécessaire d’introduire de la structuration. Ce qui n'est pas toujours bien compris par nos collègues sur le terrain. À nous d'avoir la souplesse suffisante.»

Quel impact a eu la guerre en Ukraine?

Philippe Mercier: «Nous avons participé activement aux opérations d'accueil des réfugiés ukrainiens (lire l'encadré). Nous sommes d'ailleurs devenus un partenaire important de Fedasil qui reconnaît notre expertise et notre fiabilité. Nous ne voulons cependant pas oublier notre cœur de métier: les sans-abris. Et là, la crise est bien réelle aussi. Nous voyons de plus en plus de familles à la rue, des femmes seules et leurs enfants… Une problématique qui ne doit rien à la crise des réfugiés mais qui prend ses racines dans les difficultés économiques de certaines familles. Sans oublier les violences intrafamiliales.» ¶

Le Samusocial dispose d'un numéro d'appel gratuit tant pour les personnes sans abri que les citoyens qui désirent faire un signalement: 0800 99 340. Des dons peuvent être effectués via le site (https://samusocialbrussels.don-en-ligne.be)

L'accueil en hiver

Le 15 novembre 2022, le Samusocial a déployé une capacité supplémentaire de 320 places réparties dans les sites existants, ouvertes 24 h/24, plus propices à la stabilisation et à l’accompagnement vers des solutions de sortie de la rue.
Au total, ce sont près de mille personnes et 700 demandeurs de protection internationale qui peuvent être accueillies jour et nuit dans 8 structures pendant la saison hivernale.

Action Ukraine

Les premières personnes qui fuient l’agression de la Russie arrivent à Bruxelles le 10 mars 2022. Le Samusocial déploie immédiatement un plan spécifique d’urgence en trois volets.

● Une équipe mobile sillonne quotidiennement les abords de la gare du Midi et du Heysel pour venir en aide aux réfugiés sans solution d’hébergement.

● 30 places d’hébergement sont libérées dans l’un des centres d’accueil de transit pour accueillir les personnes les plus vulnérables (familles, femmes avec de très jeunes enfants...)

● Un appui est fourni au guichet d’accueil de la gare du Midi géré par la Croix-Rouge. Objectif: chercher des solutions d’hébergement temporaire pour les personnes qui arrivent chaque soir et les guider dans leurs démarches pour leur demande de protection temporaire.