Découpez le mammouth en tranches!
Texte
François Weerts

Découpez le mammouth en tranches!

1 décembre 2022
Nous devions abandonner le modèle du paquebot pour nous transformer en catamaran
Camille, la caisse d'allocations familiales d'UCM, navigue par gros temps. Pas de port où s’abriter, pas de refuge sûr. Elle doit être capable de changer de cap à tout moment. Alors, pour surmonter les déferlantes, le paquebot a décidé de se faire catamaran. Une transformation impossible sans l'implication de son personnel.

Camille, la caisse d'allocations familiales d'UCM, navigue par gros temps. Pas de port où s’abriter, pas de refuge sûr. Elle doit être capable de changer de cap à tout moment. Alors, pour surmonter les déferlantes, le paquebot a décidé de se faire catamaran. Une transformation impossible sans l'implication de son personnel.

D'abord, un peu de contexte. La sixième réforme de l'État a régionalisé les allocations familiales. Elle a introduit en même temps la faculté pour chaque famille de choisir sa caisse. Un choix qui n'existait pas auparavant. «Pour notre secteur, cette régionalisation a été un vrai raz-de-marée», se souvient Vincent Édart, directeur général de Camille, la caisse d'allocations familiales du Groupe UCM. «Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés dans un environnement mouvant, obligés d'aller capter les familles et de les fidéliser.»

Il y a quelques années, quand UCM emportait le marché dans une entreprise, Camille était automatiquement dans la boucle. Pour affilier des dizaines de familles, une seule signature suffisait, celle du DRH du client. «Aujourd'hui, nous devons les obtenir une par une», explique Luc Salfi, responsable des services de support de Camille. «Nous avons donc dû apprendre le marketing, discipline que nous ne pratiquions pas.»

S'y ajoute une limite technique: le secteur évolue dans le cadre d'une enveloppe budgétaire fermée. Autrement dit, quand Camille gagne 1% de parts de marché, ses compétiteurs voient leur subvention diminuer d'autant. Ce qui induit naturellement une certaine agressivité commerciale.

1 apprendre l’agilité

La première réaction de la caisse a été d'organiser un exercice d'intelligence collective avec l’équipe de management pour mettre la riposte au point. «Nous devions modifier nos modes de pensée, abandonner le modèle du paquebot pour nous transformer en catamaran», souligne Nathalie Balty, HR Business Partner de la caisse. Quatre axes d'action ont été identifiés: l’équilibre budgétaire, l'efficience, le marketing et le travail commercial, puis la sérénité.

Mais très vite, l'exercice s'est révélé décevant. «Nous nous sentions coincés dans ce que nous connaissons le mieux, c'est-à-dire le respect rigoureux de la loi, des normes et des contraintes administratives», confirme Vincent Édart. «Au fond, les familles n'étaient pas au centre de notre réflexion. Nous restions obnubilés par notre organisation. Où était notre valeur ajoutée? Où était notre proposition de valeur?» La conclusion s'imposait: il fallait faire évoluer la culture de Camille, apprendre l'agilité. Ce qui n'était pas son point fort. La caisse a dès lors fait appel à Convidencia, un cabinet de conseils, pour l'accompagner dans sa mutation.

2 apprendre à découper le mammouth

Quand il s'est plongé dans le projet, Lionel Barets, fondateur de Convidencia, a découvert des esquisses de plans, de stratégies, d'axes à suivre. «En réalité, cette vision restait très opérationnelle. Il manquait une pensée stratégique qui tienne compte de l'incertitude de la situation. Il fallait partir de ce qui avait été fait mais en recadrant ces travaux dans une perspective plus large. J'ai alors proposé de mettre en œuvre un plan par étape, pour avancer de façon très graduelle.»

En effet, dans ce genre de projet, l'organisation bute souvent sur un problème: le résultat que l'on recherche s’apparente à une montagne insurmontable. Avec le risque de baisser les bras devant l'obstacle. «Nous avons préféré découper le mammouth en tranches comestibles», affirme Nathalie Balty. «Nous avons créé un backlog pour nos quatre axes stratégiques que nous avons scindés en blocs de quatre mois. Nous pouvons donc avancer pas à pas en vérifiant que nous créons de la valeur à chaque étape.» Le backlog est une notion issue de l'informatique. Il s'agit d'une liste qui hiérarchise les fonctionnalités à améliorer dans le cadre d'un projet.

Gaëtan Didderen, manager de Camille: «Grâce à ces objectifs intermédiaires, nous faisons le point tous les quatre mois sur ce que nous avons réalisé. Nous avançons pas à pas, sans perdre de vue l'objectif final, sans nous noyer sous l'ampleur de la tâche.»

La méthode reste très structurée tout en demeurant agile. «Nous avons des réunions de planification, de pilotage, d'analyse basée sur des KPI, le tout basé sur des itérations», précise Nathalie Balty. «Nous avançons, nous faisons le point, nous corrigeons le tir et nous continuons.»

La création du backlog a demandé beaucoup de tâtonnements. «Nous sommes très vite parvenus à un fichier Excel ingérable, qui ne ressemblait à rien», soupire Luc Salfi, responsable des services de support de Camille. «Grâce à nos informaticiens, nous avons réussi peu à peu à rendre l'ensemble plus clair, plus opérationnel. Mais cela a pris du temps.»

3 apprendre à mieux faire

«Dans tout ce que nous entreprenions, nous visions la perfection», reprend Gaëtan Didderen. «Nous mettions un point d'honneur à imaginer les meilleures solutions. Quand nous y parvenions, la situation avait changé. Il fallait tout recommencer.»

Vincent Édart le confirme: «Auparavant, nous terminions un projet quand il était parfait à 100%. Cette rigueur constituait un frein. Nous faisions bien les choses, c'est vrai. Aujourd'hui, l'objectif est de les faire mieux. Nous sommes passés de la culture du bien-faire à celle du mieux-faire. Avec une question en corollaire: d'accord, nous faisons bien les choses, mais faisons-nous les bonnes choses?»

Un exemple de la nouvelle approche? L'équilibre budgétaire que Camille doit respecter. Il s'agit de contrer l'effet du risque de réduction des subventions tout en dégageant des moyens pour continuer à investir. Comment faire? «Notamment en réduisant nos frais de fonctionnement», explique Luc Salfi. «Ce grand objectif est divisé en objectifs intermédiaires, par exemple nous diminuons les envois postaux, ce qui réclame d'organiser l’expédition d’e-mails, la création de PDF, etc. Un objectif qui implique notamment le service informatique. Tous les quatre mois, et jusqu'à la fin de l'exercice, nous faisons le point, nous analysons nos avancées, nos succès, les ratés éventuels.»

4 apprendre à se tromper

«Cette méthode du pas-à-pas ouvre le droit à l'erreur», se réjouit Vincent Édart. «En effet, si vous avez un plan à cinq ans et que vous vous rendez compte que vous avez fait fausse route, c'est la catastrophe. En revanche, avec nos étapes de quatre mois, il est toujours temps de corriger le tir. En fait, en fonction de l'évolution de la conjoncture, nous pourrons nous orienter vers la droite ou vers la gauche, aller droit devant ou nous arrêter. Bien sûr, le personnel ne comprend pas toujours cette façon de procéder. Nous lui avons dit de prendre telle direction et maintenant, nous changeons? Il faut donc beaucoup de transparence et communiquer énormément.»

5 apprendre à apprendre

L'évolution de l'organisation réclame de gros efforts de formation. «Nous avons prévu un coaching individuel pour Vincent Édart afin de l'aider à apprendre à piloter cette nouvelle gouvernance», indique Nathalie Balty. «En parallèle, les directeurs, les managers et les chefs d'équipe suivent également un parcours d'apprentissage. Ils sont formés en permanence depuis deux ans.»

6 apprendre à se libérer du plan

Dans les formations comme dans son fonctionnement global, Camille ne suit pas de plan rigide. «Nous nous adaptons aux circonstances, pas au plan», continue Nathalie Balty. «Ainsi, lors du confinement, nous avons pu rapidement aider les managers à gérer les émotions de leurs équipiers. Bref, notre parcours suit l'évolution de nos besoins.»

7 apprendre à s’adapter

Cette faculté de se libérer du plan, cette capacité d'adaptation, est l'un des premiers résultats de la transformation de Camille. «Nous tenions une réunion de management au moment de l'invasion de l'Ukraine par la Russie», se rappelle Vincent Édart. «Nous avons vu l'opportunité de nous adresser aux familles de réfugiés qui, elles aussi, ont droit aux allocations. Auparavant, la langue, les formalités administratives nous auraient paralysés. Mais nous avons foncé, nous nous sommes débrouillés. Nous nous sommes montrés réactifs et agiles: aujourd'hui, la moitié de ces familles sont affiliées chez nous. Ceci, sans diminuer la qualité de notre service. Au contraire.»

8 apprendre à changer

Décider de changer est une chose. Faire percoler cette volonté dans l'organisation en est une autre. «Pour y parvenir, nous avons créé une équipe d'agents du changement, les changels, des personnalités ouvertes, positives et qui permettent de diffuser les bons messages dans l'organisation», dit Élodie Charles, manager de district de Camille. «Ils nous aident à nous transformer concrètement.» En réalité, les directeurs inspirent le changement, les managers en sont les moteurs et les changels, les acteurs au quotidien.

«Nous avons aussi travaillé sur la gouvernance», ajoute Luc Salfi. «Nous avons fait évoluer nos anciennes structures pour en trouver de nouvelles. Aujourd'hui, nous avons des structures stables, avec le comité de direction et le comité de direction élargi qui permet d'impliquer étroitement le management. S'y ajoutent des groupes de travail plus agiles, mis sur pied en fonction des projets.»

9 apprendre à impliquer

«Nous appliquons un autre principe. Au lieu d'expliquer, nous préférons impliquer», affirme Nathalie Balty. «Nous avons donc impliqué les chefs d'équipe dans notre processus de transformation. Dans les commissions tactiques, qui travaillent sur certains projets, ils prennent en charge un sujet, ils établissent leurs priorités et forment une équipe pour réaliser le projet. Les valeurs en jeu ici, sont l'autonomie, l'empowerment.»

Gaëtan Didderen: «Quand on présente ces idées de façon générale, on a du mal à monter dans le train. On ne comprend pas très bien de quoi il s'agit. Mais quand on est impliqué dans la mise en œuvre, tout devient plus clair, plus compréhensible. On découvre qu'il est possible de faire les choses autrement. La prochaine étape est d'impliquer maintenant les collaborateurs.»

Nathalie Balty en convient: «L'enjeu qui se pose à nous désormais se situe justement du côté des collaborateurs. Nous devons leur laisser le temps d'évoluer, de s'inscrire dans le changement. Les changels nous aident à cet égard.»

10 apprendre à innover

Autre défi: initier des innovations. «Nous voulons identifier de nouvelles sources de revenus pour stabiliser notre fonctionnement», conclut Nathalie Balty. «Nous avons lancé une phase exploratoire en confiant ce projet à trois personnes. Jamais nous n'aurions pu le faire précédemment.»

Les allocations familiales en Wallonie

Le secteur est constitué de quatre caisses privées et d'une caisse publique. Elles s'occupent du versement des allocations familiales à plus de 900.000 enfants. Camille s'occupe de 185.000 enfants, ce qui en fait la deuxième caisse privée.

L'exemple s'étend au groupe UCM

Soixante managers d'UCM, la maison mère de Camille, suivent actuellement des formations pour découvrir le mode de fonctionnement particulier de la caisse d'allocations familiales. «Ici aussi», confie Lionel Barets, «le projet est de transformer le paquebot en un navire plus maniable, plus réactif, plus rapide. Pour y parvenir, des responsables de Camille sont étroitement associés à ce programme de formation. Ils guident les managers d'UCM et les inspirent dans leur parcours.»