Vous devez procéder à des mesures pour rendre vos objectifs clairs.
Le groupe alimentaire Vandemoortele intègre la durabilité dans sa stratégie et veut même en faire un avantage compétitif. À cet égard, son rapport annuel intégré vient d'être récompensé. Ce rapport contient de nombreuses données qui concernent spécifiquement les ressources humaines. Les explications de son CHRO, Marc Croonen.
La stratégie de durabilité de Vandemoortele se traduit dans de nombreuses dimensions de l'activité de l'entreprise: ses produits, ses services, sa gouvernance… Comment cette volonté se décline-t-elle concrètement?
Marc Croonen: «Dans notre département des huiles, des graisses et des margarines, nous nous concentrons sur l'innovation dans les produits végétaux, la réduction des emballages, etc. Dans notre division boulangère, nous souhaitons rendre nos produits plus sains, par exemple en diminuant le sel et le sucre. Dans nos usines, nous abaissons notre empreinte carbone et notre consommation d'eau et d'énergie. Dans une perspective sociale, nous nous efforçons de créer des lieux de travail sûrs et inclusifs où nos collaborateurs peuvent s'épanouir personnellement et professionnellement tout en profitant d'une rémunération équitable. Au niveau de la direction, nous voulons mettre en place les standards éthiques les plus exigeants, en mettant en œuvre les principes des Nations unies (Global Compact) et en respectant une grande transparence. La durabilité devient également un élément intrinsèque de notre politique commerciale. C'est pour nous une façon de nous distinguer de nos concurrents.»
Pourquoi est-ce vous, au poste de Chief Human Resources Officer, qui êtes responsable de la durabilité dans le comité exécutif?
Marc Croonen: «Je suis passionné par la durabilité et je joue un rôle dans ce domaine depuis longtemps. Nous avons décidé de porter nos efforts à un niveau plus stratégique. De plus, nous souhaitions intégrer la durabilité dans nos pratiques professionnelles quotidiennes. Responsable de la GRH et de la communication, je m'efforce de faire comprendre à nos salariés toute l'importance de la durabilité. Et nous rendons publics nos résultats dans notre rapport annuel.»
Que signifie la durabilité pour la GRH?
Marc Croonen: «Nous avions déjà un cadre global que nous avions baptisé People 4 Growth, Growth 4 People et Leaders 4 Growth. Dans chacun de ces domaines, nous avions formulé des objectifs concrets. People for Growth exprime notre stratégie qui vise à recruter, développer et motiver les bonnes personnes pour garantir le succès de l'organisation. Growth 4 Peoples'intéresse à la sécurité et à l'inclusion de l'environnement professionnel pour permettre aux salariés de progresser, d'apprendre et de s'épanouir. Et comme beaucoup de choses dépendent de la qualité du leadership, nous avons lancé notre programme Leaders 4 Growth. C'est l'association de ces trois priorités qui rend notre politique RH durable. Et nous fixons des objectifs mesurables pour chacune d'entre elles. Nous interrogeons aussi nos collaborateurs pour savoir où nous en sommes par rapport à la durabilité.»
Concrètement?
Marc Croonen: «Dans le cadre de notre programme Growth 4 People, nous voulons savoir si nos salariés sont traités équitablement dans tous les domaines. Cette préoccupation se traduit notamment par notre intention d'éliminer l'écart salarial entre les genres. Aujourd'hui, nous sommes presque parvenus à le combler entièrement. Nous voulons aussi que chacun puisse progresser. Du coup, nous prévoyons un certain nombre d'heures de formation. Grâce à une matrice des compétences, nous suivons l'évolution du niveau de compétences. Nous avons bien sûr prévu des objectifs en matière de sécurité, de bien-être, de mobilité interne, d'opportunités internationales, de traitement des plaintes pour harcèlement, etc. La logique durable était déjà présente dans notre stratégie RH. Ce qui a changé aujourd'hui, c'est que nous rendons compte précisément de nos réalisations dans ces domaines.»
Quels sont les premiers résultats?
Marc Croonen: «Nous constatons une forte progression. L'écart salarial s'est considérablement réduit et le nombre d'heures de formation a nettement augmenté. Dans le cadre de notre gestion des performances et du développement, presque tout le monde a bénéficié au moins une fois par an d'un entretien de développement. Nous avons commencé par une participation de 60% chez les cadres pour arriver aujourd'hui à près de 100%. Pour la population totale, nous en sommes désormais à 93%, ouvriers inclus. Tous les salariés ont aussi un entretien sur ce que nous nommons le professional journey. Chaque manager s'entretient avec les membres de son équipe sur leur prochaine étape professionnelle. Cela concerne aussi l'ouvrier du four ou celui de la ligne d'emballage. Nous discutons avec celui qui veut aller plus loin. Nous pouvons lui proposer des formations pour apprendre une nouvelle technique… En trois ans, nous sommes passés dans ce domaine de 0% à 100%. Nous surveillons ce processus plusieurs fois par an.»
Cette attention ne provoque-t-elle pas un surcroît de travail?
Marc Croonen: «Non, tout se fait automatiquement via SuccesFactors, notre plateforme RH. Un exemple récent: pour tenir compte des résultats de notre sondage sur l'engagement de nos salariés, chaque responsable de site doit réaliser un plan d'action. J'ai reçu 84 rapports sur les 87 qui sont prévus. Les trois manquants ont été immédiatement rappelés à l'ordre. La mesure et le suivi sont une discipline que nous avons acquise, elle est au cœur de notre organisation.»
Le nom des programmes Growth 4 People et People 4 Growth suggère que ces entretiens ne se limitent pas à des objectifs opérationnels?
Marc Croonen: «Bien sûr, le pourquoi est essentiel. Et ces entretiens concernent également le développement personnel et le parcours professionnel. Nous voulons savoir comment nos collaborateurs envisagent leur carrière. Veulent-ils se maintenir dans leur fonction, approfondir ou élargir leurs compétences, prendre la direction d'une équipe? Environ 60% de nos salariés ont envie de continuer à se développer dans leur fonction actuelle. Certains veulent approfondir leurs compétences, en se spécialisant ou en acquérant une expertise. Ceux qui veulent élargir leur champ d'action peuvent par exemple passer du département commercial au marketing, ou des fours aux machines d'emballage. Enfin, d'autres préfèrent la progression verticale classique pour devenir leaders. Nous organisons une fois par an ces entretiens de développement personnel. Ils abordent les objectifs professionnels de l'individu mais aussi sa carrière dans toutes ses dimensions, la correspondance entre ses valeurs personnelles et celles de la société, etc. Au début de chaque année, nous fixons des objectifs de développement professionnels et personnels. Nous souhaitons que l'entretien sur le parcours professionnel ait lieu au printemps. Ce qui donne des informations pour notre talent review. À l'automne, nous discutons de la matrice de compétences qui servira de base à l'entretien de développement. Je souligne que cette approche s'applique au personnel au sens large, elle n'est pas réservée aux cadres. C'est une manière de rendre notre GRH plus durable.»
Parlons des conditions de travail. Avez-vous des KPI pour l'impact social externe?
Marc Croonen: «Ici, nous nous intéressons avant tout aux fournisseurs de produits importants comme l'huile de palme, le soja, etc. Nous contrôlons sur place, avec l'aide de partenaires, la manière dont nos fournisseurs traitent leurs collaborateurs locaux. Nous travaillons avec des entreprises fiables, comme Cargill, pour l'huile de palme. Nous vérifions s'ils formulent les mêmes attentes à l'égard de leurs propres fournisseurs. Nous déroulons cette approche pour les matières premières les plus critiques, comme le cacao, le soja, les œufs et la farine.»
Vous liez aussi la rémunération aux critères de durabilité. Vos managers doivent-ils respecter des KPI en matière de durabilité?
Marc Croonen: «En effet, nous venons de procéder à l'évaluation de la durabilité pour 670 managers. Nous les avons subdivisés en une quinzaine de groupes très homogènes avec des KPI et des cibles sélectionnées parmi nos trois grands objectifs: l'alimentation équilibrée, la protection de la nature et l'amélioration de la vie. Ces trois objectifs sont traduits en douze critères de durabilité. Chaque cadre a donc trois ou quatre objectifs durables. Les résultats sont plutôt bons.»
Il n'y a donc pas eu de suppression de bonus?
Marc Croonen: «Si, mais l'engagement global est élevé: la plupart des cadres ont atteint leurs objectifs.»
Par exemple?
Marc Croonen: «Un département n'a pas atteint ses objectifs en matière de réduction du CO2. Et certaines équipes n'ont pas obtenu leurs objectifs en sécurité.»
Ce choix stratégique en faveur de la durabilité bénéficie-t-il à votre marque d'employeur?
Marc Croonen: «Oui, cela aide. Peut-être moins pour les opérateurs dans nos usines mais certainement pour les jeunes très qualifiés. Pour eux, ce n'est malgré tout pas le seul facteur. Le travail à faire, les opportunités d'évolution et le salaire restent très importants. Cela dit, nous remarquons que beaucoup ont lu notre rapport. Certains assurent explicitement qu'il fait partie des raisons de leur choix en faveur de Vandemoortele. Nous avons réalisé récemment un exercice avec un bureau de communication. Nous avons interrogé nos collaborateurs RH et quelques recruteurs externes. Résultat? La durabilité est l'un des six critères principaux de notre attractivité. La transparence et la cohérence sont cruciales. Dans notre rapport annuel, nous présentons aussi nos échecs. Notre entreprise est en plein apprentissage, il faut faire des essais et accepter de se tromper. L'essentiel est d'être transparent pour conserver notre crédibilité.»
Vandemoortele a publié l'année dernière pour la première fois un rapport annuel intégré qui comprend à la fois les chiffres financiers et ceux de la durabilité. L'entreprise a reçu un prix à cet égard. Comment le document a-t-il été composé? Comment évoluera-t-il?
Marc Croonen: «En toute honnêteté, l'accouchement fut difficile. C'était la première fois que nous intégrions toutes ces données dans notre rapport annuel. Il y avait encore une part d'incertitude l'année dernière dans les directives européennes, comme l'EU Taxonomy et la toute nouvelle réglementation CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Après avoir réalisé ce premier rapport en équipe, nous sommes plus sûrs de nous. Tout sera plus facile pour la prochaine édition.»
Herman Van Steenstraeten (CFO): «Ce projet est né de l'impulsion du conseil d'administration. Y siègent des membres de la famille de la cinquième génération qui sont très sensibles à la thématique de la durabilité. Ces jeunes gens sont beaucoup plus concernés par ce sujet et ils ont de l'influence sur leurs parents plus âgés. Le conseil d'administration a donné le mandat à la direction d'investir dans la durabilité dans le cadre d'une stratégie intégrée de rentabilité financière et de durabilité.»
Comment créez-vous le contenu de ce rapport?
Aurélie Comhaire: «Nous avons commencé par sonder les stakeholders internes et externes sur différents sujets. Nous avons reporté dans une matrice les points qui sont les plus importants pour eux. Nous interrogeons nos salariés, mais aussi des parties externes, comme les clients, les distributeurs, les fournisseurs, les ONG (parmi lesquelles le WWF) et des universitaires qui ont beaucoup d'expertise en la matière. Nous discutons alors des résultats dans des groupes de travail internes pour fixer nos objectifs. Nous avons fini par sélectionner cinq thèmes: les achats, le climat, l'emballage, la santé et l'alimentation, la transparence de nos produits. Nous faisons également attention à d'autres sujets. Nous surveillons tous les objectifs de développement durable, mais nous avons synthétisé notre stratégie de durabilité en trois priorités: l'alimentation équilibrée, la protection de la nature et l'amélioration de la vie. Ces thèmes coiffent 48 objectifs et KPI que nous suivons de près. Les chiffres de durabilité n'ont pas encore la même maturité que les résultats financiers. De nombreuses données sont encore collectées manuellement.»
Herman Van Steenstraeten: «Je dois avouer que je n'y connaissais pas grand-chose en durabilité quand nous avons lancé notre projet. J'ai dû étudier sérieusement le sujet. Le département financier a l'habitude des rapports et nous cherchons à les automatiser à l'aide du logiciel Power BI. Cet instrument consolide automatiquement les données financières et opérationnelles en les extrayant de divers systèmes. Il faut aussi s'entendre avec les différents responsables dans l'organisation sur la qualité et le timing des données. Nous voulons qu'un KPI (par exemple les émissions de CO2, la consommation d'eau ou les déchets) soit mesuré et qu'il nous soit communiqué en respectant les mêmes règles dans toutes nos implantations. Autre aspect de la publication d'un rapport intégré: les deadlines sont absolues.»
Marc Croonen: «La professionnalisation est indispensable pour le rapportage, mais aussi pour la maîtrise effective des paramètres de durabilité. Vandemoortele insiste par exemple sur des science based targets. Il est donc essentiel de mesurer les émissions de CO2, la consommation de gaz, d'électricité, etc. Une fois que ces chiffres sont connus, vous pouvez passer à l'étape de la gestion et de l'amélioration. C'est notre engagement: nous mesurons pour gérer, pour atteindre nos objectifs et enregistrer des résultats.»
Vandemoortele produit de longue date des huiles et des margarines, mais le groupe possède aussi une division de boulangerie qui croît rapidement. Dans chaque région où elle est présente, l'entreprise familiale veut être la première ou la deuxième du secteur pour influencer le marché. Ce qui suppose une croissance constante, organique ou par rachats. Vandemoortele est aujourd'hui entièrement entre les mains de la famille.
Chiffre d'affaires: 1,3 milliard d'euros (2021)
Bénéfice: 33 millions d'euros
Investissements: 40 millions d'euros
Usines en Europe: 29
Pays européens qui possèdent des agences commerciales: 12
Agence commerciale aux États-Unis: 1
Exportation: dans 95 pays
Employés: 3.891
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