Stéphanie Annecour Stéphanie Annecour, manager RH de JooS Consulting
Texte
Melanie De Vrieze
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Wouter Van Vaerenberg

La GRH doit arrêter de se plaindre

1 octobre 2021
Quand le CEO n’a aucun intérêt pour la GRH, il devient plus difficile d’être un interlocuteur valable pour la direction.
Quel rôle le CEO attend-il de son DRH? Au minimum qu'il siège au comité de direction et qu'il prenne part aux décisions stratégiques. C'est l'opinion des participants de notre table ronde. Ce rôle, le DRH peut le revendiquer en démontrant la valeur ajoutée de la GRH.

Quel rôle le CEO attend-il de son DRH? Au minimum qu'il siège au comité de direction et qu'il prenne part aux décisions stratégiques. C'est l'opinion des participants de notre table ronde. Ce rôle, le DRH peut le revendiquer en démontrant la valeur ajoutée de la GRH.

Les participants de notre table ronde estiment qu'il est parfaitement logique que le DRH participe à l'élaboration de la stratégie de leur organisation. Dirk Vandeputte (Vandeputte): «La GRH n'est plus une simple fonction de soutien, comme la comptabilité ou la facturation. Le département RH fait partie intégrante de nos processus. Nous impliquons aussi tous les collaborateurs dans la fixation de notre stratégie.»

Raf Vanzeer (NCOI Learning): «Au fil des années, le rôle du DRH a considérablement changé. La GRH s'est d'abord positionnée comme un service de base. Le service du personnel était souvent abrité dans le dernier bureau au bout du couloir. Aujourd'hui, le département des ressources humaines s'est rapproché des activités opérationnelles et joue un rôle crucial pour préparer l'organisation à affronter l'avenir. Il ne se contente plus de fournir un service aux salariés mais se positionne par rapport au CEO.»

Bart Jaeken (Obelisk): «Nous avons une soixantaine de salariés et nous travaillons avec une équipe restreinte d'indépendants. La GRH est un partenaire clé dans la définition de la stratégie de notre entreprise. Nous accompagnons les équipes RH de nos clients en respectant une devise: walk your talk. Un DRH est le partenaire stratégique de la direction qui met au défi ses collègues directeurs et qui apporte les connaissances dont l'organisation a besoin pour réaliser ses objectifs en s'appuyant sur ses collaborateurs.»

Marc Lauwers (Argenta): «Poser la question de la présence de la GRH à la table du comité de direction, c'est enfoncer une porte ouverte. Nous avons donné un nouveau nom à notre département RH: Organisation et Talent. C'est un choix délibéré qui souligne que nous avons bien affaire aux ressources humaines. Notre DRH est responsable du développement des compétences, des talents et de l'organisation. Elle n'est pas impliquée systématiquement dans lafixation de la stratégie mais elle contribue à la réflexion sur les conséquences futures de notre politique. Elle joue aussi le rôle de coach pour le comité de direction. Comme elle inspire confiance et qu'elle reçoit beaucoup d'informations, elle est capable de fournir un feed-back sur la manière dont les actions du comité de direction sont perçues. Pour moi, ce rôle est au moins aussi important que le pilotage du développement des talents au sein de l'organisation. Il est essentiel que quelqu'un tende un miroir au comité de direction. Il faut évidemment disposer d'un manager RH qui possède une grande maturité.»

Dirk Vandeputte: «Vous parlez d'enfoncer une porte ouverte, mais si vous réalisez un sondage auprès d'une centaine d'entreprises de taille moyenne, je ne pense pas que vous en trouverez la moitié qui partage votre vision. J'entends régulièrement des DRH me dire qu'ils ne sont pas invités au comité de direction.»

Attention à la victimisation

Raf Vanzeer: «Il est très important que la GRH n'attende pas de recevoir son carton d'invitation. Certains DRH se voient comme des victimes. Tant que vous vous demandez comment vous allez réussir à vous imposer dans la salle du comité de direction, vous n'irez pas très loin. Vous devez prendre des initiatives graduelles pour gagner la confiance et oser enregistrer de petits succès pour que la direction et les opérations se rendent compte de la valeur ajoutée de la GRH.»

Stéphanie Annecour (JooS Consulting): «Quand le CEO n'a aucun intérêt pour la GRH, il devient plus difficile d'être un interlocuteur valable pour la direction. Si vous devez faire vos preuves tous les jours et démontrer continuellement votre valeur ajoutée, les choses se compliquent. Par bonheur, mon employeur actuel accorde beaucoup d'importance aux ressources humaines.»

Dirk Vandeputte: «Vous avez beau être le meilleur DRH du monde, si votre équipe de direction n'est pas convaincue de la valeur de la GRH, vous n'obtiendrez aucun résultat. Chez nous, la direction est participative, nous faisons attention les uns aux autres. Nous ne travaillons pas en silos. Chaque problème fait l'objet de discussions communes et la dimension RH reste toujours au centre de nos préoccupations. La GRH ne se cantonne pas au département du personnel: elle imprègne toute la direction.»

Marc Lauwers: «Il n'est pas si difficile de prouver la valeur ajoutée de la GRH. Dans une entreprise de services, le capital humain est la matière première principale.»

Une patience infinie

Les participants de notre table ronde sont unanimes sur les qualités du DRH idéal. Marc Lauwers: «Il doit être empathique, posséder de fortes capacités synthétiques et avoir de bonnes connaissances psychosociales. S'y ajoutent une patience infinie et des qualités de négociateur, surtout quand il doit discuter avec les syndicats.»

Bart Jaeken: «Il doit aussi être capable de montrer l'autre face d'une situation. Un patron souffre souvent d'une vision en tunnel. Il a besoin d'avoir à ses côtés quelqu'un qui réfléchit et qui l'aide à revenir à la stratégie. Le DRH doit savoir où se situe la valeur ajoutée et la montrer à la direction et aux salariés. Il doit être capable de bien sentir son équipe RH, posséder des capacités de coach et comprendre tout ce qui touche au changement.»

Dirk Vandeputte nuance cette opinion. «Le DRH doit-il avoir d'autres compétences que les membres du comité de direction? Je pense que celles de l'un et celles des autres se recouvrent.»

Marc Lauwers: «Beaucoup de choses dépendent aussi de la taille de l'entreprise. J'attends du DRH qu'il ait des connaissances en matière de salaires et qu'il soit capable de négocier avec les partenaires sociaux.»

Raf Vanzeer: «J'ai commencé ma carrière dans la GRH mais après quelques années, je suis passé dans les opérations. C'était enrichissant parce que j'ai découvert une autre face de l'activité d'une entreprise. C'est certainement un atout.»

Le CEO est souvent le drapeau de l'entreprise alors que la GRH se charge de mettre au point une marque d'employeur attractive. Mais comment l'organisation peut-elle faire pour éviter les contradictions entre les deux? Selon Raf Vanzeer, les salariés sont de plus en plus les vrais porte-drapeau de l'entreprise. «J'observe que l'impact du CEO s'est considérablement réduit. Ce que racontent les salariés a beaucoup de valeur, tant qu'ils restent authentiques. Ils sont nos ambassadeurs. Nous soutenons ces messages en envoyant des signaux de la part du CEO et de la GRH. Je pense qu'il s'agit d'une évolution positive. Les jeunes générations accordent beaucoup d'importance au sens: que représente l'entreprise pour la société?»

Marc Lauwers: «La manière dont les salariés parlent de leur entreprise, la façon dont ils incarnent le message contribue directement à l'attractivité de l'organisation. Walk the talk est un principe fondamental.»

Stéphanie Annecour: «La GRH doit veiller à ce que les valeurs de l'entreprise soient respectées. Elle doit adapter les processus en fonction de ces valeurs. Ce que les salariés disent de leur organisation doit correspondre à la manière dont nous profilons à l'extérieur. Chacun apporte sa contribution, pas seulement la GRH.»

Dirk Vandeputte: «C'est un défi. Notre entreprise doit s'occuper sérieusement de sa marque d'employeur, nous ne sommes pas Coca-Cola! Par définition, notre force d'attraction est moins forte que celle des grandes sociétés. Il ne suffit pas de revendiquer ce que vous voulez être, vous devez montrer ce que vous êtes réellement. Un point que je vérifie régulièrement. J'ai un entretien avec tous les nouveaux six mois après leur entrée en service. Je leur demande si l'image qu'affiche l'entreprise correspond à ce qu'ils ont vécu au cours de leurs premiers mois.»

Employabilité

Les participants de notre table ronde pensent que le rôle du DRH va encore évoluer. Bart Jaeken: «La pénurie se fait sentir dans le marché de l'emploi. Une entreprise doit s'assurer de se différencier des autres employeurs en développant ses talents. Nous ne rencontrons encore aucun problème dans ce domaine mais nous l'observons chez nos donneurs d'ordres. Recycler, former et réorienter les salariés devient un élément important des attributions du DRH. Les entreprises réclament des ingénieurs civils et industriels mais elles ont déjà beaucoup de potentiel en interne pourvu qu'elles recyclent et forment leurs propres talents. Il y a aussi beaucoup de talents inexploités parmi les demandeurs d'emploi: à nous de les guider vers un travail adapté à leurs qualités.»
Marc Lauwers s'attend surtout à un déplacement des priorités. «Nous disposons chez Argenta d'un passeport qui représente la clé de l'employabilité. Si vous voulez évoluer, vous devez travailler sur l'ensemble de vos compétences, par exemple vos aptitudes numériques. Nous examinons avec d'autres parties comment développer les talents. Toutes les fonctions qui touchent aux données sont par exemple très rares. Ce n'est pas un nouveau domaine mais un domaine qui demande plus d'attention.»

Selon Dirk Vandeputte, la GRH va encore gagner en importance. «Les ventes, le marketing et la finance dominaient l'entreprise. Mais ces départements entrent en compétition avec la GRH et l'informatique. Le capital humain et l'automatisation occupent une place de plus en plus éminente, c'est une évidence. Le défi est alors de trouver le bon équilibre pour que les différents services collaborent de façon harmonieuse. Les salariés doivent connaître la raison d'être de leur entreprise. Pourquoi se lèvent-ils le matin? Il faut leur donner un but. Quand ils savent pourquoi ils viennent travailler et ce que l'entreprise représente, ses valeurs, vous agissez directement sur la rétention.»

Bart Jaeken: «C'est l'exemple formidable de la femme de ménage de la NASA qui connaissait l'importance de son travail parce qu'elle aidait concrètement son organisation à envoyer une fusée sur la lune.»

Stéphanie Annecour: «Nous faisons tout pour conserver nos salariés. Dans le domaine de la rétention, nous remettons régulièrement en question nos processus. Quand certains systèmes ne correspondent plus aux attentes du marché, nous les remplaçons. Nous impliquons aussi nos salariés dans cette démarche.»

ID

Bart Jaeken, CEO d'Obelisk Group

Marc Lauwers, CEO d'Argenta Banque & Assurances

Stéphanie Annecour, manager RH de JooS Consulting

Raf Vanzeer, formateur de NCOI Learning, CEO de Beople

Ddag: Bart Jaeken, Marc Lauwers, Raf Vanzeer, Dirk Vandeputte