Les non-dits concernent souvent les choses les plus essentielles. On attend parfois que le département RH établisse des règles à ce sujet. Mais cela relève du leadership, la RH ne doit pas tout cadenasser avec des règles.
La constitution d’une équipe solide est d'abord l’affaire du manager, tandis que la GRH sert de caisse de résonance. Une équipe forte aujourd’hui n’est toutefois pas une garantie pour l’avenir: tout dépend du contexte. Telles sont les principales conclusions des participants à notre table ronde.
La dynamique d’équipe est un facteur déterminant pour la création d’une équipe forte et soudée, affirme d’emblée Robin De Cock (Antwerp Management School). «Les capacités individuelles peuvent être renforcées, mais aussi complètement anéanties par le travail en équipe. Une équipe solide doit être homogène en termes d’engagement, de valeurs et d’objectifs, mais hétérogène sur le plan de l’expérience, des compétences, des aptitudes, etc. La recherche nous apprend, par exemple, que les équipes homogènes sont plus réactives parce qu’elles se connaissent bien, partagent le même bagage et se comprennent. Tout cela sert l’efficacité. En revanche, si vous voulez obtenir des résultats créatifs ou innovants, il vaut mieux travailler avec des équipes hétérogènes composées de profils aux expériences différentes.»
Lieve Depoorter (Modero): «Beaucoup dépend aussi de l’objectif et des tâches à accomplir. Lorsque les équipes œuvrent dans un même but, il est préférable qu’elles soient homogènes. Dans un groupe de projet, la diversité est au contraire de mise. Ce qui compte ici c’est surtout la complémentarité des compétences techniques plutôt que la variété des styles de personnalité.»
Ingrid Waghemans (Aurubis): «J'aime beaucoup la pyramide de Patrick Lencioni. La construction d’une équipe solide passe d’abord par la confiance et la résolution saine des conflits. En l’absence de critique mutuelle et cordiale, la coopération reste purement fonctionnelle. Le défi consiste à créer une dynamique où chacun se sent bien afin d’atteindre collectivement un objectif plus élevé.»
Robin De Cock (AMS): «Google a réalisé une étude portant sur les raisons pour lesquelles certaines équipes sont performantes et d’autres non. Qu’est-ce qui faisait la différence? Les équipes les plus efficaces ne sont pas celles qui réunissent les meilleurs profils, mais bien celles qui collaborent le mieux. En d’autres termes, il est impératif de bien gérer les différentes dynamiques d’équipe. Cette étude a également révélé que la sécurité psychologique était l’ingrédient secret qui distinguait les équipes les plus performantes des autres.»
Lieve Depoorter (Modero): «Chez nous, je vois les combinaisons les plus folles de profils et de personnalités. Je me demande parfois comment ces individus arrivent à travailler en équipe, mais il y a un grand respect mutuel. Nous attachons beaucoup d’importance à la sécurité psychologique et à la création d’un environnement où chacun peut être lui-même. Dans un tel contexte, quelqu’un de plus effacé ne sera pas écrasé par les autres. Lorsque l’enjeu est important, l’avis de cette personne introvertie est explicitement demandé. Nous ne la mettons pas de côté sous prétexte qu’elle ne parle pas beaucoup.»
Mais à qui incombe la responsabilité de constituer des équipes performantes? À la GRH, au manager ou au salarié lui-même? D’après Robin De Cock (AMS), le manager joue un rôle crucial. «Il doit bien cerner les attentes des membres de son équipe. La GRH sert alors de caisse de résonance.»
Lieve Depoorter (Modero) estime elle aussi que les signaux doivent venir du manager. «Le département RH ne peut pas appréhender personnellement les compétences, les souhaits et les ambitions de cent cinquante ou trois cents collaborateurs. De son côté, le salarié doit indiquer ce dont il a besoin. Le manager est là pour le guider, favoriser son développement, le soutenir et l’inspirer. Les responsables RH se contentent de fournir les outils adéquats. Ils disposent en outre d’une vue d’ensemble sur les différentes équipes. Lorsque trois hauts potentiels attendent impatiemment de pouvoir changer de poste alors que les équipes qui pourraient les accueillir ne bougent pas, il est temps d’intervenir. Le manager n’a pas connaissance de ce genre de situations. La GRH doit donc superviser le fonctionnement global des équipes. Et bien sûr, les managers doivent s’engager à ne pas entraver le développement de leurs meilleurs éléments.»
«Cette vue d'ensemble est en effet importante», ajoute Robin De Cock (AMS). «Un manager s’occupe de sa boutique, tandis que le département RH doit assurer le bon fonctionnement de l’organisation. Il s’agit de deux objectifs différents qui doivent converger. Si quelqu’un souhaite se développer au sein de son équipe, mais a le sentiment que ce n’est pas possible, le département RH doit lui présenter d’autres possibilités.»
Ingrid Waghemans (Aurubis): «Il n’y a pas un seul responsable. Les trois parties ont chacune leur rôle à jouer. En tant que manager, vous pouvez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour créer une bonne ambiance, un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de bonnes conditions de travail. Mais si l’employé ne prend pas ses responsabilités, cela ne fonctionnera pas. Les échanges entre les managers et les membres individuels de l’équipe sont indispensables. La GRH doit favoriser la cohésion et offre un cadre à toutes les parties afin qu’elles sachent clairement ce que l’on attend d’elles. Elle indique où se trouvent les outils susceptibles de renforcer les équipes et explique les choses à faire et à ne pas faire en matière de formation et de coaching.»
Il existe également de nombreux obstacles à la création d’équipes performantes. L’un de ces écueils est l’évolution rapide de l'environnement. Lieve Depoorter (Modero): «Les besoins et les exigences sont en constante évolution. Mais il n’est pas possible de démanteler une équipe et de la réorganiser chaque fois que la situation change. En raison de la grande pénurie sur le marché du travail, il n’est pas toujours évident de placer les bonnes personnes dans les bonnes équipes. Il n’est pas non plus toujours possible d’atteindre la complémentarité idéale, quels que soient les points forts des individus.»
Robin De Cock (AMS): «Le problème réside principalement dans les dynamiques d’équipe. Et c’est un point sur lequel les entreprises peuvent vraiment faire la différence. Même si, à première vue, l’équipe n’est pas du plus haut niveau, vous pouvez compenser cette faiblesse en gérant bien son fonctionnement et en lui apportant sécurité psychologique et cohésion. Dans la littérature, on parle de l’ingrédient secret qu’est la modestie. Des recherches ont aussi été menées à ce sujet. Une équipe de la NBA avait acheté les meilleurs joueurs de basket du pays, mais cette stratégie n’a pas fonctionné car il y avait trop de joueurs vedettes et d’égos réunis. Une équipe doit compter des personnes disposées à accomplir certaines tâches dont les joueurs vedettes ne veulent pas. Des études similaires ont été réalisées dans le monde du football ou à Wall Street, avec les mêmes résultats. Un mélange de moins bons et de bons éléments s’est avéré être le plus productif.»
Ingrid Waghemans (Aurubis): «Il y a plusieurs pierres d’achoppement: la faiblesse du leadership, le manque de diversité, le fait d’être différent des autres, le manque de confiance ou de compréhension mutuelles.»
Ces difficultés peuvent être à l’origine de conflits. Comment les entreprises peuvent-elles les éviter? Selon Robin De Cock (AMS), il y a quelques règles claires. «En cas de conflit, les collaborateurs doivent se donner un feed-back respectueux et constructif, en laissant la parole à l’autre. Dans ces discussions, il importe de rester concentré sur la tâche elle-même, sans dévier vers les questions interpersonnelles. Il y a une grande différence entre les conflits liés aux tâches et aux relations. Enfin, il faut qu’un membre de l’équipe rappelle de temps en temps les faits.»
Lieve Depoorter (Modero): «Les règles sont souvent tacites. Il est donc important de les formuler explicitement, par exemple pour les nouveaux arrivants dans l’équipe. Les non-dits concernent souvent les choses les plus essentielles. On attend parfois que le département RH établisse des règles à ce sujet. Mais cela relève du leadership, la RH ne doit pas tout cadenasser avec des règles.»
Ingrid Waghemans (Aurubis) n’est pas tout à fait d’accord. «En disant cela, vous supposez par définition qu’il vaut mieux éviter les conflits. Nous sommes justement favorables à ce que les conflits se produisent, de manière contrôlée et saine. Nous ne croyons pas en une façon de travailler ou un style de leadership fondés sur l’évitement des conflits. C’est pourquoi nous proposons des formations sur la manière d’engager le conflit de manière saine et respectueuse. C’est même inscrit dans nos valeurs d’entreprise: il est normal de ne pas être d’accord sur tout.»
De nombreuses entreprises ont fortement ressenti l’impact de la pandémie de coronavirus sur leurs équipes. Ingrid Waghemans (Aurubis) : «Nous avons remarqué que certaines équipes n’en ont pratiquement pas souffert et ont trouvé des moyens de s’en accommoder grâce au virtuel, par exemple. Mais il y a aussi des équipes qui, malgré la bonne coopération, ont pâti de la distanciation. Après coup, nous avons dû nous réunir pour réparer les pots cassés, resserrer les liens et donner des conseils.»
Robin De Cock (AMS): «La difficulté réside dans la combinaison du travail à domicile et de la présence dans l’entreprise. On pourrait croire que laisser à chacun le droit de choisir est une bonne stratégie, mais cela complique le travail en équipe. La dynamique de l’équipe souffre quand deux employés travaillent à domicile et les autres au bureau. Vous pouvez donner beaucoup de liberté individuelle, mais les implications au niveau de l’équipe ne sont pas toujours réfléchies. Chez nous, certains salariés ont perdu leur affinité et leur engagement vis-à-vis de l’entreprise. Ils partent parce qu’ils ne ressentent plus de lien fort avec leurs collègues.»
Dans une telle situation, il faut un leadership fort, estime Lieve Depoorter (Modero). Elle-même a observé de grandes différences entre les chefs d’équipe qui sont parvenus à enthousiasmer leur équipe éclatée à distance et à préserver ce tissu social, et les chefs d’équipe qui se sont contentés d’un bon résultat. «Après la pandémie, on voit clairement la différence entre les équipes qui se sont serré les coudes et ont traversé cette épreuve ensemble et celles qui l’ont vécue de manière isolée. L’écart est difficile à combler. La situation sanitaire a également eu un fort impact sur la formation des travailleurs. Normalement, les nouveaux arrivants ont un parrain à leurs côtés pour les accompagner, mais cette fois-ci, ce n’était pas possible. Les aspects personnels ont aussi gagné en importance. Les collaborateurs organisent leur vie privée et l’entreprise doit s’y adapter, alors qu’auparavant, c’était l’inverse: les gens organisaient leur vie privée autour de leur travail.»
Robin De Cock (AMS): «Beaucoup ont en effet eu le temps de réfléchir à leur vie. C’est le propre des crises d’inciter au questionnement sur l’existence. La chanson Once in a lifetime de Talking Heads en parle parfaitement. Les gens font carrière sans trop se poser de questions. Jusqu’au jour où ils ne peuvent plus sortir de chez eux et se mettent à penser à leur belle maison et à leur voiture de luxe, et à se demander si c’est vraiment le travail qu’ils ont envie de faire.»
Disposer d’équipes fortes aujourd’hui n’est pas une garantie pour l’avenir. Ces équipes ne résistent pas toujours aux changements de circonstances. «Tout dépend du contexte», reconnaît Robin De Cock (AMS). «Certaines personnalités fonctionnent bien dans une situation, mais pas du tout dans une autre. C’est pourquoi les équipes hétérogènes dont j’ai parlé au début sont si importantes. Lorsqu’elles fonctionnent, elles fournissent une qualité bien supérieure à celle d’une équipe homogène.»
Lieve Depoorter (Modero): «Ce n’est pas seulement une question de tâche, mais aussi de timing. En situation de crise, certaines équipes prospèrent et trouvent des solutions créatives aux problèmes, tandis que d’autres paniquent complètement parce que les personnalités en présence sont incapables de gérer la situation, indépendamment de leurs compétences. Le contexte est en effet un facteur déterminant. Nous avons vu de belles choses se produire pendant la pandémie. Des personnes d’habitude effacées se sont en fait révélées très flexibles et se sont vraiment épanouies.»
Ingrid Waghemans (Aurubis): «Une équipe forte, dont les membres sont en phase les uns avec les autres, se font confiance et pratiquent la critique constructive, conservera sa force, quel que soit le contexte. J’en ai moi-même fait l’expérience avec notre direction. Les cinq dernières années ont été difficiles, mais notre équipe a tenu bon. Selon moi, cela n’est possible que si chacun ose dire ce qui le préoccupe. Dans beaucoup de nos équipes, nous prévoyons un check-in et un check-out à chaque grande réunion. On n'y parle pas nécessairement du travail, mais on cherche à savoir comment vous vous sentez ou si quelque chose ne va pas, afin que chacun puisse pleinement se concentrer sur la réunion. Nous ne nous contentons pas d’une collaboration fonctionnelle. Lorsque nous rencontrons un obstacle majeur, nous connaissons les limites de chacun.»
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