Hassan Al Hilou Hassan Al Hilou, Fondateur de l'ASBL Capital
Texte
Melanie De Vrieze
Image
Juan Wyns

Ne restez pas un militant isolé

1 mars 2023
On me dit souvent que je m’investis dans la jeunesse alors que moi-même, je suis encore jeune. C’est vrai, et c’est justement ce qui me donne de l’énergie
Hassan Al Hilou, qui fut l'un des plus jeunes entrepreneurs de Belgique, a fondé pendant la pandémie l'association Capital. Cette ASBL aide les jeunes Bruxellois à découvrir le marché du travail grâce à la technologie et s'efforce de les rendre financièrement indépendants. Comment favoriser la diversité? «Imaginez un plan d'action au lieu de lancer un projet stratégique et impliquez vos salarié.

Hassan Al Hilou, qui fut l'un des plus jeunes entrepreneurs de Belgique, a fondé pendant la pandémie l'association Capital. Cette ASBL aide les jeunes Bruxellois à découvrir le marché du travail grâce à la technologie et s'efforce de les rendre financièrement indépendants. Comment favoriser la diversité? «Imaginez un plan d'action au lieu de lancer un projet stratégique et impliquez vos salarié.

Capital est installé dans un splendide immeuble art déco près de la station de métro Yser. Ce bâtiment de cinq étages sert depuis 2020 de refuge aux jeunes Bruxellois vulnérables. Ils viennent y étudier, travailler ou poser leur candidature. Pour son fondateur, Hassan Al Hilou, Capital est l'IKEA du développement des jeunes. «Dans cette chaîne de magasins suédois, vous trouvez tout ce qu'il vous faut pour aménager votre intérieur. C'est dans le même esprit que nous avons créé ce hub centré sur le développement des jeunes. Nous proposons un large éventail de programmes pour les aider à déployer leurs talents. Nous sommes toujours en quête de projets innovants et de partenaires désireux de nous proposer des solutions.»

Comment avez-vous eu l'idée de fonder Capital?

Hassan Al Hilou: «Je suis devenu entrepreneur à l'âge de seize ans (lire l'encadré). J'ai réussi à construire un beau réseau et je suis devenu financièrement indépendant. J'ai obtenu mon diplôme en gestion de l'innovation à la VUB en 2020. Pendant la pandémie, j'ai rencontré des jeunes en difficulté qui ne parvenaient pas à progresser, qui n'avaient plus d'espoir… Bruxelles compte aujourd'hui 25% de jeunes au chômage. 11% de cette population n'ont pas décroché leur diplôme d'humanités et 10% ne sont ni au travail, ni en formation, ni à l'école. En cherchant une solution, j'ai observé qu'il y avait déjà beaucoup d'aides. À Bruxelles, plus de 900 organisations s'occupent de la jeunesse. Le problème n'est donc pas du côté de l'offre. En fait, la solution ne réside pas dans l'approche collective classique qui vous permet d'entrer en contact avec une vingtaine de personnes au maximum. Il faut au contraire apporter des solutions innovantes, que l'on peut faire monter en charge avec souplesse. C'est ce que propose Capital. Nous avons touché en 2020 deux mille jeunes, l'année suivante, cinq mille et cette année, nous atteignons chaque mois entre quinze cents et deux mille jeunes.»

Qu'est-ce qu'une solution innovante que l'on peut déployer en souplesse?

Hassan Al Hilou: «Un exemple: JOBX, le X signifiant explore, expand et experience. Quand vous demandez à un jeune ce qu'il voudrait faire plus tard, il avoue souvent qu'il n'en sait rien. Pas parce que rien ne l'intéresse, mais parce qu'il évolue dans un environnement socio-économique vulnérable. Et c'est là qu'est le danger. Résultat? Démotivation, lassitude de l'école, abandon des études et peut-être plus tard un burn-out parce qu'il n'aura pas choisi le bon métier. Grâce à JOBX, nous voulons apporter des réponses préventives en présentant la réalité du travail à une population très jeune. Tous les jours, nous donnons à une cinquante d'ados des informations sur vingt secteurs et cent cinquante métiers. Au premier étage de notre bâtiment, nous avons installé une exposition ultramoderne, qui utilise des outils de réalité augmentée et de réalité virtuelle, ainsi que des hologrammes, pour montrer aux jeunes Bruxellois la variété des métiers qui existent. Nous avons trouvé très vite des entreprises qui ont accepté de participer au projet et de le financer. Des sociétés comme Sofina, Colruyt, Nestlé, BESIX et Deloitte présentent leur secteur en exclusivité. Ce projet donne aux entreprises l'occasion d'avoir un impact sociétal et d'attirer de jeunes candidats.»

Élargir son horizon

Ce résultat n'est cependant pas celui que vous visez directement?

Hassan Al Hilou: «C'est exact. Capital n'est pas un bureau de recrutement. Nous voulons en premier lieu donner à des milliers de jeunes Bruxellois des informations sur le marché du travail, les différentes industries présentes et les étapes à franchir pour y accéder. Près de 90% des jeunes qui visitent JOBX connaissent moins de trois secteurs parmi la vingtaine que nous avons identifiés. Nous voulons enrichir leurs perspectives et élargir l'idée qu'ils se font des métiers. Dans le domaine du droit, chacun pense naturellement aux avocats mais quand les jeunes sortent de chez nous, ils ont compris que les juristes ont aussi besoin de spécialistes du marketing ou d'informaticiens.»

Les salons de l'emploi et les visites d'entreprises ne sont-ils pas de solutions pour informer les jeunes?

Hassan Al Hilou: «Ces modèles sont datés, ils ne fonctionnent plus. Cette approche n'est pas très inclusive puisque les salons de l'emploi ne concernent que les jeunes qui ont déjà un profil LinkedIn. Dans l'intervalle, la technologie a changé beaucoup de choses. Je compare les salons de l'emploi avec les banques et les distributeurs de billets, alors que les jeunes effectuent aujourd'hui leurs paiements avec leur GSM. Pendant une visite d'entreprise, les jeunes doivent écouter pendant une heure la présentation de ses activités alors qu'ils sont intéressés par des questions plus pratiques: comment décrocher ce job, en quoi consiste-t-il concrètement et combien est-il payé? En revanche, JOBX se veut une action pédagogique qui est aussi inclusive. Le concept est parfaitement évolutif, nous pouvons le déployer sans problème au niveau mondial. Avec JOBX, nous touchons environ 350 jeunes par mois, mais une forte croissance est possible.»

Les entreprises parlent beaucoup d'entrepreneuriat socialement responsable, de diversité et d'inclusion. Quel est votre sentiment à cet égard?

Hassan Al Hilou: «Je constate que les progrès sont positifs. Nous sommes dans une culture qui encourage les entreprises à investir dans la vie en commun. Elles sont conscientes que la pauvreté existe et qu'elles doivent lancer des initiatives dans ce domaine. Leur plus grand défi est de savoir comment s'y prendre et d'identifier l'action qui aura le plus d'impact. Je leur conseille toujours de commencer par leur environnement proche. Que se passe-t-il dans votre région? Cherchez une solution. Je recommande aussi d'investir dans une réponse évolutive. Investissez plutôt dans une école que dans une classe. Vous aurez beaucoup plus d'impact. Enfin, je pense que l'entreprise doit comprendre qu'elle est un élément de la chaîne. Tenez compte de la phase précédente et de la phase suivante dans votre intervention. Investissez dans le collectif et la cocréation pour soutenir les jeunes.»

Que devrait faire le département RH pour implémenter la diversité et l'inclusion?

Hassan Al Hilou: «Mesurer, c'est savoir. C'est le premier point auquel un DRH devrait s'intéresser. Mais que font généralement les entreprises? Elles constituent un groupe d'étude qui travaille pendant un an sur une enquête. Mais en termes de diversité, un an, cela équivaut à cinq années. Les évolutions sont exponentielles. En même temps, il est déjà possible d'en apprendre beaucoup sans trop d'efforts. Cherchez le nom de votre entreprise sur LinkedIn, passez en revue les contacts du premier niveau. Votre organisation est-elle diverse? Regardez ensuite les contacts du deuxième niveau. Vous vous rendrez peut-être compte que votre entreprise est plus hétérogène que vous ne le pensiez. À moins que vous ne vous aperceviez que la diversité est un problème chez vous, un problème qu'il faudra résoudre en créant un projet plus inclusif.»

Ambassadeurs

Comment faut-il s'y prendre?

Hassan Al Hilou: «Je joue souvent le rôle d'intermédiaire parce que les salariés sont du mal à parler de diversité à leur CEO ou à leur DRH. Raison pour laquelle une entreprise doit développer une expertise interne sur le sujet. Grâce à cette expertise, vous engendrez des ambassadeurs. Au lieu de compter sur un militant isolé, vous disposez d'un groupe qui a envie de s'engager en faveur de la diversité. Responsabilisez vos salariés en leur demandant de concevoir un plan d'action. Je parle délibérément d'un plan d'action, et pas d'un plan stratégique parce qu'il est trop tard aujourd'hui pour s'intéresser à la stratégie. Il est temps de lancer des actions dans les douze prochains mois. Pour donner un exemple, nous avons mis en place un plan d'action avec 150 salariés. Quand ces ambassadeurs parlent à deux ou trois collègues, vous obtenez des centaines de personnes qui sont au courant. C'est plus efficace que l'engagement d'un consultant par un DRH qui réalisera avec lui un plan stratégique que le département RH mettra en œuvre. Un plan d'action part de chaque département. De cette manière, le DRH pourra avoir des alliés qui pourront changer les choses dans la production, le marketing ou la communication.»

Que dites-vous aux entreprises qui prétendent ne pas trouver de collaborateurs représentant une forme de diversité?

Hassan Al Hilou: «Cet argument reflète une situation plus complexe qu'il n'y paraît. Elle signifie que la culture de l'entreprise n'est pas taillée pour les trouver. Un plan d'action clair vous permettra de le faire, c'est d'ailleurs le cas chez nos partenaires. En réalité, la chance qu'ils ne trouvent pas ces candidats est faible quand on sait que le tissu urbain de Bruxelles, Anvers et Gand est divers à 60%. Dans les écoles primaires de ces villes, la diversité culturelle peut être estimée à 70%. Il faut en réalité réussir à attirer les candidats concernés par différents canaux. Les organisations sont frappées de plein fouet par une vague de changements. Pensez aux défis économiques, à la numérisation, à la gouvernance et au climat. S'y ajoute maintenant la problématique de la diversité. Quand on parle de diversité, on pense souvent à des Robins des Bois qui volent aux riches leur argent – ou leur place – pour la donner aux économiquement faibles. Beaucoup de gens pensent qu'ils doivent céder leur place pour s'effacer devant les représentants de la diversité. Mais il ne s'agit pas de leur siège, mais de ceux qui sont vides autour d'eux et qui ne parviennent pas à trouver preneurs. En d'autres termes, il y a un potentiel de diversité qui n'est pas réalisé.»

À Bruxelles, environ 900 ASBL s'occupent des jeunes. En quoi une initiative comme Capital est-elle indispensable?

Hassan Al Hilou: «Il y a un manque de cohésion entre toutes ces associations. C'est le grand défi de la société civile. Les différentes ASBL se connaissent mais manquent de moyens et de temps pour orienter les jeunes entre elles. Il y a souvent une sorte d'égoïsme. Quand une organisation s'occupe d'un jeune, elle a souvent le sentiment qu'il lui appartient. C'est une tendance dangereuse. Quand les besoins du jeune évoluent, il doit pouvoir être pris en charge facilement par une autre association. Nous essayons de formuler une réponse à cet égard en permettant à ces structures de travailler ensemble sous notre toit.»

Quels sont vos rêves et vos ambitions?

Hassan Al Hilou: «L'avantage de Capital est que nous sommes établis à Bruxelles. Notre ville est un laboratoire, une ville de diversité, avec tous les problèmes que cela suppose mais aussi toutes les opportunités. On peut y faire des expérimentations. Chaque essai réussi devient un programme, comme JOBX. Nous espérons que ces programmes auront un impact en dehors de la capitale. Notre rêve ultime est d'aider tous les jeunes Belges à accéder au marché de l'emploi. Nous n'allons pas le faire en invitant tous ces jeunes à venir à Bruxelles mais en implémentant JOBX dans différents lieux. Dans les cinq ans, nous souhaitons devenir le point de référence innovant pour le développement de la jeunesse. Cela me semble réaliste.»

Rôle modèle

Vous êtes un modèle pour de nombreuses personnes. Mais vous, qui vous inspire?

Hassan Al Hilou: «Être un modèle est un mandat que la société vous donne et qui doit être temporaire. Rester un modèle pendant toute sa vie risque d'être lassant. J'ai rencontré dans mon parcours plusieurs personnes qui m'ont inspiré. Je pense souvent à Caroline Pauwels, l'ancienne rectrice de la VUB. J'ai nommé en son hommage un espace de brainstorming dans notre bâtiment pour que la jeune génération apprenne à la connaître. Elle a été un pilier essentiel dans mon développement. Les livres m'inspirent aussi. Généralement, je ne retiens qu'une seule page mais je la garde avec moi très longtemps. Les gens qui ont de l'espoir m'inspirent aussi. Quand je lis l'interview de quelqu'un qui se montre positif, je me sens contaminé par son énergie.»

Quels sont vos défis les plus importants?

Hassan Al Hilou: «Nous travaillons sur l'innovation dans un secteur de niche, dans une optique préventive au lieu de nous en tenir au moment même. La question est de savoir si les entreprises sont prêtes à investir dans ce domaine. Le grand défi et le convaincre les entreprises d'investir de façon préventive dans la jeunesse au lieu de réagir après-coup.»

Mais il n'est pas trop tard selon vous?

Hassan Al Hilou: «Je garde toujours en tête la devise de l'empereur Auguste: festina lente(hâtez-vous lentement). Pour moi, il est toujours trop tard, mais les entreprises peuvent rattraper leur retard en mettant en œuvre de façon graduelle leurs innovations et en abandonnant les pratiques classiques.»

Vous avez des journées bien chargées. Comment essayez-vous de vous détendre? Qu'est-ce qui vous donne de l'énergie?

Hassan Al Hilou: «J'aime me retrouver avec mes amis et ma famille pour boire un verre et manger, simplement pour se retrouver en toute tranquillité. On me dit souvent que je m'investis dans la jeunesse alors que moi-même, je suis encore jeune. C'est vrai, et c'est justement ce qui me donne de l'énergie. Bien sûr, j'apprécie moins les corvées administratives qui sont liées à ce travail. Mais j'adore regarder l'un de nos participants jouer au football ou être invité à une pièce de théâtre. Cela me donne de l'espoir quand j'observe un jeune déployer ses talents. En fait, nous avons une vision macro alors que nous devrions nous intéresser aux détails, aux vies individuelles. À long terme, je voudrais découvrir le monde, voyager. Je n'ai pas de préférence pour une destination en particulier, pour autant qu'il y ait du soleil. J'ai visité beaucoup de pays ces dernières années, des destinations atypiques où l'on a souvent peur de se rendre, pour lesquelles il est difficile de se procurer un visa. Ce n'est pas tant le pays qui m'intéresse que les rencontres avec les gens. Et je reste un entrepreneur. En Turquie, je ne m'adresse pas au loueur de jet-skis pour négocier son tarif: je veux savoir combien son commerce lui coûte, combien de temps il doit travailler pour gagner sa vie. Récemment, j'ai pris un train en Iran qui a mis treize heures à traverser le pays. Le moment idéal pour entrer en relation avec les voyageurs locaux. Je suis toujours curieux de découvrir d'autres cultures.» ¶

Qui est Hassan Al Hilou?

Hassan Al Hilou a des racines iraniennes. Il est connu comme le plus jeune entrepreneur du pays quand il a lancé, à seize ans, YouthTalks, une plateforme en ligne destinée à favoriser les débats entre les jeunes. À dix-neuf ans, il a créé un bureau de conseils, AGE (age, gender and ethnicity) Consultancy, pour aider les entreprises à améliorer leur diversité. Pendant la pandémie, il a fondé Capital au centre de Bruxelles où des jeunes travaillent, étudient et se développent.