Nous considérons les erreurs comme des moments d’apprentissage
Notre industrie manufacturière se transforme et se numérise. Les participants de notre table ronde défendent une culture de l'apprentissage qui encourage les salariés à endosser plusieurs rôles et les aide à progresser. Ce qui suppose un leadership moins dirigiste, capable de lâcher la bride.
Vos entreprises misent sur la formation. S'est-elle davantage numérisée en raison de la crise du coronavirus?
Geert Walschap (Umicore): «La pandémie a considérablement réduit les formations en présentiel. En 2019, nous comptions en moyenne 48 heures de formation par salarié, contre 35 en 2020. Mais il est vrai qu’une crise sert de tremplin aux changements et la numérisation en est le parfait exemple. Notre offre d’apprentissage en ligne, de formations numériques et de webinaires a rapidement doublé. Cela dit, pour les soft skills et le relationnel, ces méthodes ne fonctionnent pas. Par ailleurs, nous confions à nos collaborateurs de nombreuses responsabilités en matière de formation et de développement. L’organisation leur fournit un cursus de formation et une structure d’accompagnement de carrière. Nous utilisons également Talent Builder, un programme qui permet aux collaborateurs d’identifier eux-mêmes les domaines dans lesquels ils sont doués, ce qu’ils aiment faire et comment donner éventuellement une autre orientation à leur carrière.»
Koen Boonen (Melexis): «Chez Melexis, notre attention se porte désormais sur la manière dont les collaborateurs perçoivent la formation et sur ce que nous devons faire pour l'encourager. Nos experts veulent partager l’information et sont accessibles, mais nous devons leur donner les ressources ou les plateformes pour faciliter ce partage. Auparavant, les contacts en face à face étaient plus nombreux, mais dans le contexte actuel, ils se produisent moins souvent.»
Tina Ermgodts (Wilms): «Chez Wilms, l’apprentissage est fortement axé sur la transmission du savoir par les pairs. Nous nous fondons sur les passions personnelles. Les préférences sont identifiées lors de nos entretiens de développement entre les coachs et les collaborateurs. Sur cette base, ces derniers intègrent un groupe de spécialistes qui élaborent un projet. Ils y deviennent également des formateurs. Chez nous, ce processus a encore lieu en présentiel. Nous ne disposons pas d’une plateforme d’apprentissage en ligne, mais nous avons un nouveau centre d’expérience doté de smartboards et de grands écrans. Via Teams, nous communiquons par groupes de quatre depuis différentes salles de réunion. Nous mettons également en place une académie proposant un catalogue numérique. Dans notre secteur, il est important de recruter des profils qui ont soif de connaissances. Notre département R&D développant sans cesse de nouvelles applications, nous avons besoin d’une vraie culture de l’apprentissage. Cela ne peut être obtenu par le biais de formateurs dans des salles de classe.»
Hans Lingier (Daikin Europe): «Chez nous, l’apprentissage s’est résolument numérisé après le passage du coronavirus. Nous avions déjà depuis longtemps notre propre académie pour nos salariés belges. Certaines formations s'effectuent aussi chez nous pour nos collègues européens. Avant la crise, ils prenaient souvent l’avion pour venir suivre ces cours. Ces derniers sont désormais intégralement dispensés par la voie numérique. L’expérience est positive. Récemment, nous avons opté pour l’apprentissage sur LinkedIn. L’offre virtuelle est très vaste, mais il est difficile de développer une dynamique en matière de techniques de communication et de coaching. Nous continuons à encourager l’apprentissage virtuel, mais j’aspire au retour des formations en présentiel.»
Steven Muylaert (Van Hoecke): «Nous investissons beaucoup dans des formations sur la communication, car nous évoluons vers plus d’autonomie au sein des équipes et vers un leadership partagé. Notre gamme de formations, fondée sur les principes de la psychologie positive, vise une meilleure collaboration et une plus grande autonomie. C’est pourquoi nous remplaçons les fonctions par des rôles. Ceux-ci sont par définition temporaires. Nous créons un rôle après avoir décidé ensemble du problème que nous souhaitons résoudre. Après quelques mois, nous évaluons si ce besoin existe toujours. Si cette méthode suscite une certaine inquiétude chez les collaborateurs qui sont attachés à leur fonction, elle est également source de dynamisme. Les rôles favorisent l’apprentissage. Par ailleurs, l’application Mural, qui permet de collaborer et de réaliser des séances de brainstorming en ligne, s’est révélée très utile dans le cadre de l’organisation d’ateliers numériques. Teams et Monday ont aussi prouvé leur efficacité. Dans l’ensemble, je trouve que la technologie fonctionne étonnamment bien et qu’elle permet une agréable collaboration. Par exemple, lorsque nous organisons un atelier d’une journée, nous faisons livrer des repas à domicile. Manger ensemble devant l’écran permet de resserrer les liens.»
Hans Lingier: «Daikin Europe a déjà tenté l’expérience des équipes autogérées il y a quelque temps, mais nous avons constaté qu’il est difficile de laisser une équipe gérer sa propre planification. La prise de décisions majeures s’est avérée encore moins évidente. Nous nous fondons sur un modèle ABCD, qui fait référence aux concepts d’autonomie, de belonging(cohésion), de compétences et de direction. Le C de compétences est essentiel pour favoriser l’engagement et la passion. Les collaborateurs doivent être suffisamment formés pour effectuer leur travail, mais aussi acquérir une expertise sur un sujet qui les passionne. Les dirigeants doivent donner de l’amplitude à cette démarche. En parallèle, nous sensibilisons les collaborateurs par le biais d’actions visant à les responsabiliser. Cette méthode est bénéfique pour les processus et la qualité, mais augmente également l’engagement et la passion. Tout l’art consiste à identifier le domaine dans lequel chacun peut briller. À l’occasion des Jeux olympiques, nous avons organisé des Factory Olympics centrés sur sept compétences. Dans ce contexte, nous organisons des Jeux olympiques pour les ouvriers, un projet porté avec beaucoup d’enthousiasme par une cinquantaine d’employés qui remplissent cette tâche en plus de leur mission quotidienne. Près de quatre cents ouvriers se sont inscrits. Ils deviendront non seulement mieux formés et plus compétents dans leur travail, mais aussi plus fiers. Le système de rôles a été mis en place chez les ouvriers. Les méthodes Kaizen et TPM intègrent déjà largement ce concept. La sécurité et la qualité sont désormais dans la ligne de mire.»
Tina Ermgodts: «Chaque salarié a un entretien annuel de développement axé sur ses motivations. Tant le coach que le collaborateur préparent cette réunion. La méthode peut paraître douce, mais elle demande beaucoup de courage aux coachs qui perdent parfois leurs meilleurs éléments au profit d’autres collègues. Nous organisons aussi des stages internes afin de déterminer ce qui pourrait convenir à un collaborateur. Notre principe est le suivant: 80% du temps de travail doivent être consacrés au cœur de métier, et 20% à la passion de l’individu. L’adoption de rôles s’inscrit également dans cette optique. Il peut s’agir d’un rôle au sein de notre groupe de développement durable, où les collaborateurs élaborent par exemple des solutions d’emballage plus respectueuses de l'environnement. Nous avons aussi des groupes de travail notamment sur la santé ou le sevrage tabagique. Les collaborateurs issus de différents niveaux de l’organisation s’y rencontrent sur un pied d’égalité. Cela crée des liens et permet aux collaborateurs de mieux comprendre les raisons de certaines décisions et leurs implications sur les autres. Ils aident également les collègues qui ont perdu goût à leur fonction et les coachs tentent de leur trouver de nouveaux défis au sein de l’organisation. Peu nombreux sont les collaborateurs qui nous quittent parce qu’ils entrevoient plus de perspectives de développement ailleurs. De plus, nous disposons d’un trajet de leadership également fondé sur les domaines de prédilection des collaborateurs.»
Steven Muylaert: «Il y a douze ans, Van Hoecke a délibérément opté pour une évolution progressive vers une organisation autonome. Dans ce cadre, nous prenons, si possible, en compte une rotation naturelle du personnel. Lorsqu’un contremaître prend sa retraite, nous ne le remplaçons pas sans réfléchir. L’équipe de production a servi de projet pilote à l’époque, et d’autres équipes lui ont emboîté le pas. Nos responsables participent une fois par an à un séminaire sur le développement de leurs compétences personnelles, l’identification des styles de personnalité, l’exploitation des motivations personnelles... Peu à peu, l’accent mis sur les compétences en matière de leadership s’est déplacé vers l’orientation que nous souhaitons donner à l’organisation. N’impliquer que le top management dans notre évolution vers une organisation encore plus autonome n’est pas judicieux. Nous avons créé le projet “Hello You!” afin de laisser place à la réflexion en matière d’autonomie. Les nombreuses questions ont été regroupées en thèmes d’ateliers. Tout le monde a été invité à en discuter. À deux reprises, quatre-vingts collaborateurs différents ont pris part à la discussion. Cela a créé une belle dynamique. Petit à petit, nous nous départissions de notre ancienne mentalité. De plus en plus de collaborateurs veulent assumer plus de responsabilités au sein de leur équipe. De son côté, la direction a également clairement fait savoir qu’un manager n’est désormais plus une personne qui peut ou sait tout mieux que tout le monde. Un tel processus n’est pas évident pour tout le monde, mais il permet à un grand nombre de collaborateurs de véritablement s’épanouir. L’idée que les dirigeants puissent confier aux membres de l’équipe certains aspects d’une fonction qui leur posent des difficultés leur donne plus de possibilités et de liberté.»
Koen Boonen: «Tout ce qui vient d'être dit m'est très familier. Ces dernières années, quelque trois cents collaborateurs ont profité d’une formation sur les techniques de coaching. Parallèlement, trente autres ont suivi un trajet approfondi au terme duquel ils ont été certifiés en tant que coach. Ce rôle leur permet de consacrer une partie de leur temps à l'accompagnement de personnes qui en ressentent le besoin. Ces coachs certifiés ont également l’avantage d’occuper une position extérieure à l’équipe, ce qui permet de briser une barrière. C’est un point très apprécié de nos collaborateurs. Nous innovons aussi beaucoup en matière de leadership. Nous avons par exemple conclu un accord de collaboration avec l’Antwerp Management School dans le NeuroTrainingLab, où quinze responsables expérimentés suivent actuellement un trajet de formation. Nos nouveaux chefs d’équipe suivent un programme de plus de trente semaines organisé par Franklin Covey pour leur apprendre comment ils peuvent influencer leur propre état d’esprit en apprenant à regarder les situations sous un autre œil et à évaluer au mieux leur équipe. Diriger ne se limite pas à manager des personnes. Cela nécessite également de savoir poser un regard juste sur une équipe et comprendre comment orienter une organisation.»
Geert Walschap: «Cela fait maintenant un certain temps qu’Umicore est en train de passer d’une hiérarchie dirigiste à un leadership axé sur le coaching. Cela s’exprime également dans les formations. Dans le cadre de la CCT 104 (travail faisable, maintien des travailleurs en activité plus longtemps), nous avons conclu un accord avec les syndicats visant à travailler sur les compétences numériques à plus long terme. Cela dit, nous misons également sur d’autres compétences pour l’avenir. Les compétences dites du 21e siècle comprennent également le développement de la collaboration, la pensée créative, la résolution de problèmes... Ces notions s’inscrivent également dans le cadre de la CCT 104.»
Qui dit apprentissage et leadership, dit également culture de l’apprentissage. Une culture qui garantit aux collaborateurs le droit de faire des erreurs et d’en tirer des leçons en toute sécurité?
Tina Ermgodts: «Nos coachs jouent un rôle fondamental dans le sentiment de sécurité des collaborateurs. Les signaux indiquant qu’un collaborateur ne se sent pas bien nous parviennent souvent de ses collègues. Nous réagissons rapidement. Un point non négligeable est notre collaboration avec Synchroon, une ASBL qui propose des stages aux personnes souffrant d’un handicap professionnel. Dans ce cadre, nous mettons en place des projets et fournissons des mentors. Cela entraîne une communication plus ouverte et permet de réaliser que certaines personnes voient le monde différemment. Apprendre à gérer ce paramètre crée une atmosphère de bienveillance. Une personne autiste a besoin d’une structure et d’explications très claires, ce qui se traduit par une communication plus claire également entre tous les autres collègues.»
Geert Walschap: «Il y a quelques années, nous avons interrogé les départements opérationnels concernant leurs attentes en matière de RH. Pour le business, l’engagement s’est révélé très important. Nous avons ensuite abordé avec plusieurs collaborateurs à différents échelons de l’entreprise leurs expériences professionnelles les plus positives, les moments où ils ont vraiment senti qu’ils avaient le vent en poupe. Nous avons analysé avec eux les facteurs sous-jacents de ce succès. Il en est ressorti six mots: reconnaissance, cohésion, orientation, authenticité, épanouissement personnel et confiance. Nous formons nos dirigeants conformément à ces principes. Par ailleurs, atteindre une sécurité physique globale au travail commence généralement par une sécurité psychologique. Le responsable ne peut pas penser qu’effectuer quelques ajustements au niveau de l’installation ou dans l’environnement sans impliquer le collaborateur suffira à garantir la sécurité. Cette méthode est vouée à l’échec. Si les collaborateurs ont peur de proposer des idées et des suggestions, cela ne fonctionnera pas non plus. Il est important que les responsables créent une atmosphère ouverte au dialogue. Nous n’en tenons pas rigueur à nos collaborateurs lorsqu’ils commettent des erreurs, mais considérons plutôt ces dernières comme des moments d’apprentissage. C’est un point qui nous tient particulièrement à cœur.»
Hans Lingier: «Nous encadrons et formons également les responsables afin qu’ils garantissent cette sécurité. Nous incitons nos collaborateurs à sortir de leur zone de confort. Les Japonais sont passés maîtres en la matière et cela donne lieu à des évolutions de carrière surprenantes. Par exemple, notre responsable mondial des ressources humaines était auparavant directeur général du design en Europe. Chez Daikin, les anciens connaissent tous l’histoire de l’ouvrier qui a commencé sur la chaîne de montage au Japon et est devenu directeur général de l’usine d’Ostende. Le département RH soutient cette volonté de sortir de sa zone de confort. Nous facilitons par exemple la réalisation d’un stage dans d’autres départements. Pour les personnes qui désirent changer d’emploi, nous mettons également en place des programmes de développement et fournissons des coachs internes. Nous garantissons non seulement la possibilité de reprendre l’ancien emploi, mais nous veillons également à ce que les étapes de carrière effectuées en dehors de la zone de confort n’entraînent aucun préjudice financier.»
Koen Boonen: «Au cours de notre réflexion sur notre expérience d’apprentissage, nous nous sommes également penchés sur le climat approprié. La curiosité est rapidement apparue comme un élément clé. Un deuxième principe est celui du codéveloppement ou de la co-élévation. Nous considérons l’apprentissage comme un processus bidirectionnel et non plus comme un processus à sens unique, d’un donneur vers un récepteur. La formation tout au long de la vie est également fondamentale, mais elle n’est possible que si les collaborateurs y souscrivent pleinement. Nous voulons donner aux collaborateurs la possibilité de définir leur propre trajet. Autrefois, l’approche consistait principalement à poser des questions. Aujourd’hui, nous fournissons l’environnement et les outils, mais c’est aux collaborateurs de tracer leur chemin en s’appropriant leur apprentissage. Dans ce contexte, nos collaborateurs ont accueilli très favorablement notre collaboration avec LinkedIn Learning.»
Steven Muylaert: «Nous posons les bases de la sécurité psychologique en initiant les collaborateurs aux différents styles de personnalité et en indiquant très clairement que nous valorisons la diversité cognitive. Le sentiment d’insécurité dans une équipe provient souvent de réactions mal comprises. Cerner ces différences est amusant et confère un grand pouvoir. Nous apprenons à percevoir les collaborateurs selon un style particulier. Nous recherchons cette diversité cognitive, car elle nous rend beaucoup plus forts en tant qu’équipe. J’ai le sentiment qu’il s’agit d’une base solide pour garantir la sécurité psychologique. Par ailleurs, je pense que la sécurité psychologique est un atout tant que l’accent est également mis sur la prise de responsabilités. À défaut, les collaborateurs restent dans leur zone de confort et ne bénéficient pas d’un réel apprentissage.»
Steven Muylaert, COO de Van Hoecke
Geert Walschap, DRH d'Umicore
Koen Boonen, Talent Development Professional de Melexis
Tina Ermgodts, HR Manager de Wilms SA
Hans Lingier, Senior HR Manager – Personnel Development Department de Daikin Europe
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