Cécile Creme Cécile Cremer, Trend researcher & innovation designer Wandering the Future
Texte
Melanie De Vrieze
Image
Marleen Serné photography

Ne négligez pas les solutions humaines

1 octobre 2021
Il appartient aux entreprises de donner à leurs collaborateurs des lignes directrices. Cela ne marchera pas si on laisse une liberté extrême.
Pendant la pandémie, la numérisation des processus RH a fait un bond spectaculaire. Selon Cécile Cremer, trend researcher et innovation designer, nous nous situons à la croisée des chemins. «Nous ne pouvons plus nous passer de la technologie mais nous devons rester vigilants par rapport au facteur humain», insiste celle qui sera l'une des intervenantes de notre événement HRtech.be.

Pendant la pandémie, la numérisation des processus RH a fait un bond spectaculaire. Selon Cécile Cremer, trend researcher et innovation designer, nous nous situons à la croisée des chemins. «Nous ne pouvons plus nous passer de la technologie mais nous devons rester vigilants par rapport au facteur humain», insiste celle qui sera l'une des intervenantes de notre événement HRtech.be.

Lors de HRtech.be, la Néerlandaise Cécile Cremer se projettera dans le futur pour donner sa vision des nouvelles technologies qui auront un impact majeur sur nos façons de vivre et de travailler. Où en est-on? Quelles sont les tendances qui auront le plus d'impact sur la GRH? «Nous assistons à un duel entre la technologie et l'humain. Aucun retour en arrière n'est possible, mais nous devons garder un esprit critique.»

Êtes-vous optimiste quand vous considérez la façon dont la technologie contrôle nos vies?

Cécile Cremer: «Malgré tout, oui. Je reste optimiste face à la technologie, mais je pense que nous devons faire mieux, que nous devons être plus prudents. Il faut davantage éduquer à la technologie, en général et plus particulièrement sur le lieu de travail. Par manque de connaissances, les salariés peuvent être gagnés par la peur de l'inconnu. Pourtant, la technologie est une belle chose et nous ne pouvons plus nous en passer. Il serait absurde de prétendre qu'il faudrait faire table rase. Nous devons vivre avec le progrès technologique en toute conscience et en restant critiques, afin de ne pas perdre le contrôle. Afin, aussi, de rester capables de revenir en arrière.»

La technologie apporte-t-elle une réelle contribution sur le lieu de travail?

Cécile Cremer: «Certainement, mais par rapport à l'équilibre entre l'humain et la technologie, nous sommes à la croisée des chemins. Nous devons en être conscients. Si nous ne commençons pas à privilégier l'humain, nous perdrons la maîtrise et le contrôle de la technologie. On voit partout apparaître des applications et de nouvelles technologies, mais nous devons nous demander si elles sont réellement utiles et contribuent à la qualité de notre travail, ou si elles ne sont qu'un gadget, le modèle économique sous-jacent prenant alors le pas sur l'objectif réel. Nous devons nous pencher sur la question avec un regard plus critique pour éviter d'être submergés. On ne peut nier que le travail est en pleine mutation. Par exemple, les nouveaux agriculteurs piloteront bientôt des drones pour s'occuper de leurs champs. Mais au fond, l'être humain ne change pas. Nous mangeons, vivons, travaillons, avons besoin de loisirs et voulons nous sentir utiles. Nous devons trouver un équilibre. C'est à la GRH et au management de guider les collaborateurs pour qu'ils retrouvent cet équilibre.»

Faut-il résoudre tous les problèmes avec la technologie?

Cécile Cremer: «Je le pense, mais la solution peut aussi être d’essence humaine. Nous devons l'accepter, surtout dans le domaine de la GRH, qui concerne directement les personnes. Pourquoi vouloir tout automatiser? Ce sont justement les personnes qui apportent de la valeur ajoutée. Vous devez sentir et voir cette étincelle humaine. À long terme, elle a beaucoup plus de valeur qu'un ordinateur qui vous dit que, sur le papier, Jean est le meilleur candidat. Souvent, ce n'est pas le cas dans les faits. Il faut plutôt utiliser la technologie pour donner davantage de poids aux ressources humaines et mettre les gens en relation ou créer des systèmes de buddies. À Anvers, il existe une application où les habitants peuvent suggérer des points sur lesquels la ville devrait se pencher. Les résidents peuvent voter et le sujet passe à l'ordre du jour du Conseil communal. C'est l'exemple type du community building. Un excellent exemple de technologie à valeur ajoutée. De nombreux salariés sont actifs dans des groupes WhatsApp, mais ces initiatives contribuent-elles à la productivité? Il ne faut pas oublier non plus que la technologie joue aussi un rôle dans le harcèlement et l'exclusion au travail.»

Quelles tendances voyez-vous émerger dans le domaine des technologies RH?

Cécile Cremer: «Nous nous dirigeons résolument vers l'automatisation des tâches répétitives. L'intelligence artificielle et les big data vont prendre davantage d’importance. Pour le moment, les expériences qui sont menées restent assez limitées. L'impact à long terme est difficile à prévoir. De toute évidence, il ne faut pas négliger non plus les biotechnologies: elles pourraient être utilisées pour mieux sélectionner les personnes. Une fois de plus, il faut se demander si c'est réellement souhaitable. On le sait et on peut s'en inquiéter, la science permet déjà de modifier génétiquement des bébés pour répondre à certains besoins. Mais il faut reconnaître que de nombreuses réalisations de la numérisation et de l'automatisation se font au bénéfice des personnes. Si nous automatisons des tâches simples, nous gagnons du temps que nous pouvons consacrer au développement de nouvelles compétences. Le thème de l'inclusion est intéressant. C'est bien sûr un sujet très actuel, où la technologie peut jouer un rôle positif en éliminant les biais humains. Et qu'en est-il de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle? Elles perturbent également les règles du jeu, tout comme la technologie augmente la mondialisation des collaborateurs.»

Les responsables RH se montrent parfois distants par rapport à la technologie. Cette attitude est-elle justifiable?

Cécile Cremer: «Il est vrai que certains craignent de voir leur emploi disparaître, mais ce n'est pas nécessairement une catastrophe. Par manque de connaissances sur les développements technologiques, les gens ont parfois peur de l'inconnu. Le changement leur donne pourtant l'opportunité d'approfondir leurs compétences et de se réinventer. Aujourd'hui, beaucoup de technologies et d'innovations sont en cours de développement. Leur modèle commercial permet d'engranger de jolis profits, mais quel est le bénéfice pour les individus, pour le monde? J'appelle parfois ce phénomène la technology feedback loop. Prenons l'exemple du GSM. Grâce à la technologie, nous avons un super robot dans notre poche, mais il présente aussi des aspects négatifs. Pensez aux sextos ou aux problèmes de dépendance. Nous sommes seulement en train de réfléchir à la législation et aux réglementations, nous nous demandons jusqu'où nous pouvons aller. Nous répondons aux problèmes par la technologie et ne nous interrogeons qu'ensuite sur l'impact qu’elle peut avoir sur les gens. L'humain est trop rarement au centre de notre réflexion. La technologie est-elle encore vraiment la solution ou devons-nous aller dans la direction opposée? La technologie doit être plus humaine pour améliorer la qualité de vie des travailleurs.»

À quoi ressemblera le travail à l'avenir?

Cécile Cremer: «Nous sommes tous des créatures sociales. Nous ne continuerons donc pas à travailler à la maison, du moins pas à cent pour cent. Diverses études montrent que les gens veulent rester en dehors du bureau 2 ou 3 jours par semaine. Je crois que nous nous dirigeons vers une forme hybride. De nombreuses entreprises affirment qu'elles n'enverront plus leurs collaborateurs en avion pour assister à des réunions à l'étranger et auront recours aux visioconférences. Mais on constate que la présence physique apporte toujours une dynamique différente. Il y a beaucoup de distractions à la maison. Le contact physique, les retrouvailles entre collègues et l'ambiance de travail ont un effet positif sur les collaborateurs. J'espère aussi que nous renoncerons au créneau de 9 h à 17 h, et que nous serons plus flexibles à cet égard. Tant que vous faites votre travail, vous n'avez pas nécessairement besoin de commencer à la même heure tous les jours. Je pense que nous adopterons des formes beaucoup plus libres à ce niveau-là. Il appartient aux entreprises de mettre en place un certain cadre et de donner à leurs collaborateurs des lignes directrices. Parce que cela ne marchera pas si on laisse une liberté extrême.»