Une vision plus humaniste se fait de plus en plus pressante.
L'engagement des salariés dans les organisations est notoirement insuffisant. Comment l'augmenter, comment susciter la motivation? Comme Laurent Ledoux l’a précisé lors de notre événement HRtech qui s'est déroulé à Anvers au mois d'octobre, l’une des pistes est de parvenir à distribuer le leadership. Dans le cadre d’une gouvernance collaborative.
On connaît les travaux de Douglas McGregor dans les années 1960 qui posaient deux regards sur l'être humain. D’une part, il n'aurait pas envie de travailler et ferait tout pour l'éviter. Sauf qu'il lui faut bien gagner sa vie… Dans ce cadre, il est inévitable que les organisations se construisent sur des règles strictes et des contrôles sévères. Mais la coercition et la punition ne sont pas les façons les plus efficaces de faire travailler les gens. Car l'autre regard de McGregor identifie chez les individus le désir sincère de s'engager dans leur travail. À condition que la culture de leur organisation soit construite autour de certains principes qui favorisent leur engagement.
«D’une façon globale, la flexibilité, l'autonomie et le bien-être sont des facteurs de motivation pour les travailleurs», explique Laurent Ledoux. «Quand l’organisation se préoccupe de son inclusion, de son développement personnel et de liberté d’action, le salarié n’est plus considéré comme un simple facteur de production. On pourra alors commencer à parler de gouvernance collaborative: cette approche cherche à organiser le travail en commun en privilégiant la prise d'initiatives, tout en maintenant la coordination nécessaire.»
Ces pratiques ne sont pas neuves et elles sont appliquées aujourd'hui dans plusieurs secteurs. Laurent Ledoux discerne plusieurs caractéristiques fondamentales de ces organisations: le sens, les rôles, les règles, les réunions, la prise de décision et l'acceptation du changement.
Sens. «Avoir un travail qui a du sens est fondamental. L'une des manières de procurer ce sens est de structurer l'organisation en cercles. Chacun peut avoir différents rôles dans différents cercles. Le sens est alors lié aux rôles. On en arrive à un management by purpose. C'est une structure parfaitement réaliste. Je connais une société de plus de 2.000 employés qui applique ce modèle. Chaque cercle y occupe en moyenne 11,4 personnes. Et chaque personne appartient à un cercle et demi, toujours en moyenne.»
Rôles. «Il faut abandonner les descriptions de fonction classiques qui, de toute façon, ne sont jamais strictement appliquées. Les cercles permettent de réunir les individus autour d'une activité. On voit qui fait quoi et on a eu une meilleure vision des rôles qui sont nécessaires pour atteindre les objectifs. Le système des cercles permet de clarifier les contributions de chacun.»
En allant plus loin, c'est aussi la fonction de manager qui doit être repensée. «Il faut partager les rôles des managers. Sa fonction habituelle regroupe des rôles très différents: développement de la stratégie, contrôle financier, coaching d’équipes, évaluations… Or, ces différents rôles peuvent être dissociés et confiés à plusieurs membres de l'équipe, à ceux qui seront les plus qualifiés pour assumer ces rôles si divers. Ce détricotage fait naturellement peur dans bien des cas. Pourtant, le manager a tout à y gagner, car la démarche lui permet de se défaire de tâches pour lesquelles il n’était pas vraiment bon ou utile, pour se concentrer là où il peut apporter de la valeur et se développer.»
Règles. «Des règles, il faut en définir. Car l’autonomie, ce n'est pas la liberté de faire n’importe quoi. Je peux prendre des initiatives à condition de contribuer à réaliser l'objectif commun. L'idéal est de respecter des règles que j'aurai moi-même contribué à définir. C'est un point essentiel. En fait, ces approches visent à passer d'une hiérarchie de personnes à une hiérarchie de buts. Dans cette optique, le chef devient superflu dans son rôle de point de référence. La référence de chacun, c'est l'objectif à atteindre. On en arrive alors à une cascade de buts individuels qui tendent vers la réalisation du but collectif.»
Réunions. «Dans ce type d'organisation, les réunions sont plus efficaces. Le rôle du manager étant réparti dans l'équipe, il ne sera donc plus le seul à s'occuper de toute l’organisation. Il pourra se concentrer sur sa valeur ajoutée. Ici, les technologies apportent une aide précieuse.»
Prise de décision et inclusion. «La prise de décision doit être inclusive, les membres du groupe doivent y participer. Il faut un consentement. En même temps, quand la décision est prise, assurez-vous que les autres options sont définitivement écartées. Il faut se tenir à ce que le groupe a décidé.»
Changement. «Dans notre monde, la transformation est obligatoire: le vrai risque, c'est de ne pas changer. La transformation doit s’opérer graduellement, en parallèle, sur trois niveaux. D’une part, la transformation organisationnelle: il convient de redessiner les structures, telles que les équipes multidisciplinaires, les modes de prise décision, les processus managériaux comme le recrutement, la planification budgétaire... S’y ajoute la transformation culturelle: les valeurs, les principes directeurs de l'entreprise doivent être revisités. La transformation personnelle, enfin: chaque personne, à commencer par le sommet, doit faire un travail sur soi pour changer de posture vis-à-vis de ses collègues. Une posture ancrée dans une bienveillante exigence ou une exigence bienveillante, ces deux qualités allant, selon moi, toujours de pair, si elles sont bien comprises. Si l’exigence n’est pas bienveillante, elle risque de démotiver et de frustrer. Si la bienveillance n’est pas exigeante, elle mène à la complaisance et mine la performance de l’organisation nécessaire à sa survie.»
«Le succès de ces concepts est alimenté par une certaine lassitude vis-à-vis des vieilles méthodes de commande et de contrôle», conclut Laurent Ledoux. «Une vision plus humaniste se fait de plus en plus pressante. Il s’agit de mieux satisfaire certains besoins humains fondamentaux: l’autonomie, l’inclusion et le développement personnel. Notre société insiste sur la responsabilisation des citoyens qui sont appelés à ne plus se cantonner dans un rôle d'exécutants. Et qui n’en ont plus envie en raison des changements culturels et sociaux, de l'élévation du niveau de formation, etc. Au fond, l'aspiration démocratique gagne le monde du travail. Les citoyens sont, a priori, égaux en droit et responsables dans notre pays. Sauf dans l'entreprise où leur statut est défini explicitement par leur subordination.»
Laurent Ledoux
Laurent Ledoux affiche un CV impressionnant qui se décline dans le privé comme dans le public. Il a été président du ministère belge de la Mobilité et des Transports, membre du comité exécutif de Corporate & Public Banking de BNP Paribas Fortis, chef de cabinet d’un ministre, directeur du personnel et de l’administration du ministère belge des Affaires économiques, et associé chez Arthur D. Little. Il est aussi passé par la Commission européenne, ING et MSF.
Aujourd’hui, il est l’un des associés fondateurs du cabinet de services Phusis, qui réunit une équipe de gestionnaires expérimentés spécialisés en gouvernance collaborative. Il se consacre également à l’animation de diverses associations et entreprises sociales. Sa voix, que l’on peut entendre lors de ses nombreuses conférences, est particulièrement inspirante pour le monde de l’entreprise.
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