La diversité ne se limite pas à créer une nouvelle série de fiction qui mettrait en scène une personne non blanche et une autre qui serait atteinte d’un handicap. Il faut aller plus loin.
Il y a un peu plus d'un an, Karen Donders quittait la VUB pour rejoindre la VRT, la radiotélévision publique flamande, au poste de directrice des relations publiques. Depuis le mois de novembre, elle prend aussi en charge le département Talents et Organisation. Ses priorités? Un environnement de travail inclusif, une culture centrée sur la performance et la transition numérique.
Vous avez travaillé pendant quinze ans dans le milieu universitaire. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers la VRT?
Karen Donders: «J'ai entamé ma carrière à l'université un peu par hasard: j'ai été sollicitée avant même d'avoir obtenu mon diplôme. Je suis alors devenue professeure de la VUB (Vrije Universiteit Brussel) où j'ai donné des cours en politique et en économie des médias, et en journalisme. Le rôle de l'audiovisuel public était l'un de mes grands domaines de recherches. J'ai été impliquée dans la négociation du contrat de gestion de la VRT et j'ai rencontré son CEO, Frederik Delaplace. Il m'a convaincue de le rejoindre. Après une carrière académique de quinze ans, le moment était venu de sauter le pas. La décision n'était pas facile à prendre parce qu'il s'agissait d'un virage à nonante degrés. Quand vous travaillez pour une université, vous vous dépensez beaucoup pour parvenir à un certain niveau en publiant des articles, en accompagnant des doctorants et en réalisant des travaux de recherche. C'est très différent d'un itinéraire dans une entreprise. J'ai beaucoup aimé mes années à la VUB mais j'ai fini par me rendre compte que je restais à la surface dans certains domaines. J'ai donc accepté cette proposition pour avoir un impact de l'intérieur dans mon domaine de recherche.»
Vous combinez deux fonctions: vous êtes directrice des relations publiques et directrice du département des talents et de l'organisation. Quelles sont vos responsabilités?
Karen Donders: «Elles sont très variées. Directrice des relations publiques, je m'occupe de la communication interne et externe, du service juridique, du plan pluriannuel, de la politique de rapportage, du service d'études et de la gestion des parties prenantes. Depuis le mois de novembre, je dirige aussi le département Talents et Organisation, qui comprend le recrutement, la marque d'employeur, la gestion des talents, le développement du leadership, la formation, les conditions de travail, l'intégrité sociale et le bien-être physique. Je m'appuie sur des HR Business Partners qui font la transition entre tous ces domaines RH et l'organisation elle-même. Il n'est pas toujours facile de passer d'une mission à l'autre.»
Transformation numérique
Quelles sont les priorités du département RH?
Karen Donders: «La première est la transformation numérique de la VRT: ici, le recrutement joue un rôle essentiel. Si nous devons engager un journaliste TikTok pour la rédaction, nous aurons au moins 150 réponses. Nous ne nous plaignons pas de l'afflux de candidats pour ce genre de fonctions. Les choses se compliquent quand nous cherchons des profils plus techniques, comme ces spécialistes qui sont capables de travailler dans un studio virtuel, entièrement sur fond vert. Cela demande des compétences très spécifiques. Du coup, si nous cherchons à attirer de nouveaux talents, nous formons aussi nos collaborateurs. Ces actions de reconversion sont intensives, elles ne se règlent pas en donnant une heure de cours par semaine. Pour apprendre, il faut s'immerger à temps plein dans ce studio virtuel. Nous devons alors remplacer ces travailleurs par des indépendants ou des collègues. Le département RH investit beaucoup d’énergie dans la planification de ces formations, nous nous efforçons aussi de séduire les candidats et de les enthousiasmer. Il est fondamental que l'offre de formations s'adapte aux besoins de l'organisation. Il est tout aussi essentiel d'atteindre les salariés qui ont vraiment besoin d'un perfectionnement. Nous y réussissons de mieux en mieux.
Depuis 1931, la VRT possède une structure linéaire, non seulement dans le domaine des contenus que nous proposons à nos publics mais aussi dans de nombreux processus RH. Il faut commencer à faire évoluer cet état d'esprit. C'est ce que nous tentons de faire: le leadership est donc une deuxième priorité.
Le troisième pilier concerne l'installation d'une culture centrée sur la performance. Nous voulons mieux récompenser nos collaborateurs en fonction de leurs résultats et de ceux de leurs collègues. Cette attention portée aux performances doit s'accompagner d'une politique de bien-être. Si vous demandez beaucoup à vos salariés, ils ont le droit de disposer d'un environnement de travail sûr. Nous nous investissons de plus en plus dans l'intégrité sociale. Récemment, nous avons signé avec tout le secteur des médias une déclaration d'engagement dans le domaine de l'intégrité sociale et des comportements déplacés.
En plus de ces trois piliers, j'en ajoute un quatrième: rapprocher le département Talents et Organisation des travailleurs pour mieux les soutenir. Je ne crois pas à une organisation dont le service du personnel resterait dans sa tour d'ivoire. Les deux doivent être en harmonie.»
Vous vous inscrivez dans la continuation de l'œuvre de votre prédécesseur. Quels sont les accents que vous apportez?
Karen Donders: «Mon prédécesseur s'est beaucoup battu pour qu'il n'y ait aucune différence de traitement entre les salariés et les free-lances. Je veux absolument persévérer dans cet objectif de gestion totale des talents. Nous avons besoin de free-lances pour absorber les pics d'activité. Nous proposons toujours à nos indépendants de participer à notre sondage du personnel. Naturellement, je tiens aussi à imprimer ma marque. J'estime qu'il est important que le département RH se rapproche du terrain et oriente plus activement l'organisation dans les domaines du leadership, des performances, du bien-être et de la diversité.»
De quelle manière essayez-vous d'intégrer la diversité et l'inclusion dans la culture de l'organisation?
Karen Donders: «En septembre, nous avons rédigé un nouveau plan d'action sur la diversité. Il repose sur trois piliers. Le premier concerne la diversité à l'écran. Notre téléspectateur veut se reconnaître dans sa télévision. Il ne s'agit pas d'une relation linéaire: quelqu'un d'origine turque ne veut pas nécessairement apercevoir un Turc devant les caméras. C'est plus complexe. Mes enfants de quatre et cinq ans, qui vont dans une école diverse à Anvers et qui ne sont pas d'origine étrangère, veulent aussi voir cette diversité sur leurs écrans. La VRT doit être un miroir plus fidèle de notre société. Attention: nous privilégions toujours le talent, sous peine de susciter un débat stérile sur la discrimination positive.
En deuxième lieu, nous voulons que nos récits deviennent plus inclusifs. La diversité ne se limite pas à créer une nouvelle série de fiction qui mettrait en scène une personne non blanche et une autre qui serait atteinte d'un handicap. Il faut aller plus loin. Des émissions comme FC United(qui aborde le sujet du racisme dans le foot) sont précieuses à cet égard, mais nous avons aussi besoin de diversité dans d'autres programmes de divertissement. Nous devons poursuivre cet effort dans toute notre programmation, y compris en radio et en ligne. Un groupe de 160 personnes de la VRT travaille bénévolement sur la possibilité de rendre notre organisme public plus inclusif dans le domaine du story-telling. Nous invitons aussi régulièrement des témoins extérieurs qui viennent nous présenter leur point de vue sur les médias. Cette approche fonctionne mieux qu'une méthode fondée exclusivement sur des chiffres à atteindre. Les quotas fournissent une motivation éphémère alors que nous recherchons un effet durable.
Troisième axe: la nécessité de parvenir à un environnement de travail plus divers et plus inclusif. C'est l'aspect le plus difficile: nous devons embaucher du personnel pour y parvenir alors que notre budget est très serré depuis des années. Nous investissons malgré tout dans notre marque d'employeur et nous travaillons avec des organisations comme Capital ou Becode qui opèrent dans un contexte de mixité urbaine. Nous ne recherchons pas toujours des universitaires mais aussi des individus qui ont beaucoup de talent mais qui ont besoin d'une formation complémentaire. Nous proposons à vingt candidats par an un parcours de formation sur le terrain pendant douze mois. Mais quand ces personnes sont engagées, il faut encore s'assurer qu'ils auront du plaisir à travailler chez nous. Après tout, il n'est pas très agréable d'être la seule femme ou la seule personne d'origine étrangère dans une rédaction.»
Dans quelle mesure la GRH de la VRT diffère-t-elle de celle d'une entreprise privée ou d'une institution académique?
Karen Donders: «Ce n'est pas comparable. Une université possède une structure pyramidale, avec les étudiants en dessous, puis les doctorants, les professeurs, les doyens et le recteur. À la VRT, nous avons un CEO et un collège de direction mais le système est très différent. À l'université, vous devez attendre un certain nombre d'années avant de pouvoir prétendre à une promotion. Dans une entreprise, les choses vont souvent plus vite pour les salariés qui ont envie de progresser. Dans une université, la GRH est très centralisée, on y retrouve davantage de silos. La GRH de la VRT atteint plus profondément l'organisation. Nous connaissons cependant quelques difficultés, notamment dans la diffusion de messages difficiles ou dans la culture du feed-back. Mais nous y travaillons. Alors que la culture du feed-back peut être trop dure dans une université, à la VRT, tout le monde ne comprend pas qu'elle est indispensable. On ne peut y échapper si l'on veut faire évoluer nos collaborateurs.»
Comment décririez-vous votre politique RH?
Karen Donders: «Je crois dans la transparence et j'essaie de favoriser la cohésion. Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la façon dont chaque collaborateur et chaque département contribuent aux ambitions de la VRT que nous avons formulées dans notre plan 2030. Ce projet n’est pas celui du CEO et de quelques directeurs, il exprime l’objectif de toute l'organisation. L’accent est souvent mis sur ceux qui réalisent les contenus, mais il est important que la GRH montre clairement que chacun a son rôle à jouer. C’est la seule façon de faire bouger l’organisation.»
Que voudriez-vous encore réaliser dans votre fonction?
Karen Donders: «J’aimerais que la diversité soit mieux représentée dans notre personnel. Nous voulons nous positionner de façon plus explicite comme un média numérique avec de fortes ambitions sociétales. Un positionnement qui doit donner envie à de nombreux candidats de venir travailler chez nous, parce qu’ils peuvent faire la différence. Nous avons aussi besoin de plus de flexibilité dans nos systèmes d’évaluation des performances et de rémunération. Ces dernières années, nous avons franchi plusieurs étapes importantes dans ce domaine. Ainsi, nos collaborateurs seront de plus en plus évalués en fonction de leurs réalisations individuelles et non plus seulement par rapport aux objectifs collectifs de l’entreprise. Nous allons organiser plus d’entretiens de fonctionnement intermédiaires pour que nous puissions travailler sur l’amélioration de nos collaborateurs en toute connaissance de cause. On pense souvent qu’il est difficile de faire bouger les grandes structures et qu’il faut attendre des années avant que les choses ne changent. Après un an, je constate déjà certaines évolutions. Grâce à une communication transparente et à l’engagement de chacun, nous avons fait des progrès.»
Qu’est-ce qui a changé?
Karen Donders: «Des changements sont déjà perceptibles dans les domaines du leadership, de la gestion totale des talents, de la diversité et de l’intégrité sociale. Nous commençons généralement par quelques départements pour vérifier que cela fonctionne ou non. Nous pouvons alors apporter les corrections nécessaires. L’intégrité par exemple est une difficulté. La norme a toujours été la norme mais le contexte social était plus flexible il y a vingt ans. Nous ne pouvons plus nous contenter de pointer du doigt certaines remarques déplacées, ce que nous continuons à faire bien sûr. Cela n’a pas de répercussions durables. La réaction doit venir de la base. Cette prise de responsabilité est plus durable que quand un expert ou un DRH dit ce qu’il faut faire. Nous avons commencé par Sporza, notre chaîne sportive, et ce projet pilote a donné de bons résultats. L’objectif est maintenant d’étendre progressivement ce système à d’autres équipes pour gagner peu à peu toute l’organisation. Nous procédons de la même manière pour le leadership. Après la pandémie, nous avons dû adapter notre approche, à cause du travail hybride aussi. La nouvelle donne réclame de mieux maîtriser certaines compétences en leadership qui paraissaient moins importantes il y a deux ans. Ici aussi, nous avançons pas à pas pour laisser venir les réflexions.»
Comment vous détendez-vous?
Karen Donders: «Avant de partir au travail, j’essaie de consacrer du temps à ma famille. Pendant le week-end, je retrouve souvent mes racines dans le Limbourg. J’essaie de lire beaucoup, mais je n’en ai pas toujours le temps. J’ai les mêmes difficultés avec l’activité physique. Les grands voyages ne me sont pas indispensables, j’en ai fait suffisamment quand j’étais à l’université.»
Chaque jeudi dans votre boîte de réception.