Il s’agit de remplacer les interactions basées sur l’autorité par des comportements fondés sur le respect, l’ouverture et la solidarité.
Certaines organisations accordent énormément d'autonomie à leurs collaborateurs. Michael Y. Lee a longuement analysé leur mode de fonctionnement. Sa conclusion? Même ceux qui ne souhaitent pas aller aussi loin que les exemples qu'il donne peuvent tirer des leçons précieuses de ces expériences.
Michael Y. Lee, l'un des conférenciers de notre événement HRtech, a étudié les dynamiques à l'œuvre dans les entreprises qui refusent les hiérarchies conventionnelles. Il a analysé la manière dont ces organisations coordonnent le travail en se privant des managers classiques. Il s'est aussi demandé quelles catégories de salariés se sentent bien dans cet environnement. Comment remplacent-ils les interactions basées sur l'autorité par des comportements fondés sur le respect, l'ouverture et la solidarité?
Le besoin de créativité, d’implication et de résilience dans les organisations nous ramène toujours au Saint Graal de l’autonomie et de l’autogestion. Des expériences et des recherches se déroulent dans le monde entier.
Michael Y. Lee: «Oui, mais la plupart des expériences menées au cours des dernières décennies concernaient des équipes autogérées au sein d’organisations qui avaient conservé une structure fondamentalement hiérarchique. J’ai analysé des entreprises qui ont mis en place un système d’autogestion dans l’ensemble de leur structure, avec une autorité radicalement décentralisée. Je différencie en outre la décentralisation radicale des formes plus graduelles de décentralisation. Je pense à toutes les formes possibles d’empowerment, du haut vers le bas. Je me concentre exclusivement sur les cas où le lien de subordination est rompu. J’étudie donc les cas extrêmes, non pas parce que je crois que toutes les organisations devraient aller aussi loin, mais pour tirer des enseignements globaux. Même les dirigeants des organisations moins ambitieuses sont essentiellement confrontés à la question de savoir comment motiver les employés sans avoir à invoquer l’autorité.»
Existe-t-il des entreprises qui ont supprimé toute structure hiérarchique?
Michael Y. Lee: «Elles conservent malgré tout une structure, mais elle est très différente des organisations traditionnelles. Par exemple, chez Valve, un fabricant prospère de jeux vidéo aux États-Unis, ce sont les employés qui décident eux-mêmes des projets sur lesquels ils souhaitent travailler. Pour déterminer les jeux à développer, Valve utilise un processus ascendant au lieu d’une stratégie déployée classiquement du sommet vers la base. Les collaborateurs décident ensemble du jeu qu’ils créent et recherchent du soutien en ce sens. Les individus ne sont plus affectés aux projets en fonction des ordres donnés par une hiérarchie. Et cela fonctionne! Il y a quelques années, ce développeur de logiciels a également voulu développer du matériel informatique. Ce type d’activité nécessite des investissements importants à long terme. Le modèle a donc dû être revu en conséquence. Ce qui a conduit Valve à prendre des décisions selon un schéma plus descendant, mais de manière générale, les choix concernant le portefeuille de produits continuent de venir de la base. Deux autres exemples bien connus sont Morning Star et, bien sûr, la célèbre compagnie Zappos. Morning Star est le plus gros producteur de tomates en conserve des États-Unis. Il ne s’agit pas d’une société de technologie de pointe ou de logiciels, mais d’une entreprise agricole traditionnelle. Elle utilise un modèle selon lequel les individus concluent des accords bilatéraux avec des collègues qui dépendent d’eux dans leur fonctionnement. Ils définissent des rôles et responsabilités grâce à ces accords bilatéraux.»
On entend également parler d’échecs. Cela semble être le cas de la société dont vous venez de parler, Zappos, un détaillant de chaussures en ligne aux États-Unis.
Michael Y. Lee: «On a en effet annoncé que des membres du personnel ont accepté de quitter l'entreprise en échange d'une somme d'argent. Ceux qui voulaient partir recevaient une généreuse prime de départ, sans devoir justifier les raisons de leur démission. Trente pour cent des membres du personnel ont quitté l’organisation par ce biais. Toute organisation traversant un changement culturel majeur (comme l’introduction de l’holocratie) est confrontée à ce phénomène. Indépendamment de la philosophie de l’holocratie, Zappos possédait une culture quelque peu originale, ludique et légère. Ils avaient déjà l’habitude de former les nouveaux arrivants pendant quelques semaines et, après cette formation, ils leur offraient quelques milliers de dollars pour ne pas rester. C’était leur façon de sélectionner des employés dont la motivation n’était pas vénale. Je trouve qu’il s’agit d’une façon brillante de bâtir une culture. Un autre aspect est que tous les rôles ainsi que leurs responsabilités et leurs limites sont clairement visibles pour tous les membres de l’organisation. L’introduction d’un tel système ne manquera pas d’effrayer certaines personnes. Je ne suis donc pas surpris qu’un changement aussi significatif amène certains employés à s'en aller.»
Si on définit les rôles avec autant de précision, ne risque-t-on pas de tomber dans un système bureaucratique?
Michael Y. Lee: «On considère parfois que les organisations linéaires ne sont pas structurées. Une hiérarchie apporte de la structure, et si vous remplacez la hiérarchie par un autre système, il vous faut une autre forme de structure. Les gens ont besoin de clarté et de coordination. Et les employés doivent assumer leurs responsabilités. Mes recherches sur l’holocratie révèlent clairement ceci: on ne crée pas davantage d’autonomie en excluant toute forme de structure, mais en mettant en avant les nouveaux types de structure nécessaires pour soutenir un travail plus autonome. De nombreuses organisations qui décentralisent l’autorité et confient davantage de compétences à la base font souvent une constatation: il n’est pas évident pour les employés habitués à une hiérarchie de renoncer effectivement à cette autorité. De nombreuses recherches indiquent que confier plus d’autonomie ne fonctionne pas toujours. Le pouvoir a l’étrange tendance à remonter ou à ne jamais se décentraliser. Pourquoi? Les employés n’y sont pas habitués, ils n’intériorisent jamais vraiment leurs nouveaux rôles. Ou encore, ils gardent le sentiment que les propriétaires légaux peuvent finalement reprendre le pouvoir à tout moment. J’ai souvent remarqué que les employés ne croyaient pas vraiment qu’ils pouvaient décider par eux-mêmes, ou qu’ils considéraient cette faculté comme risquée.»
Comment peut-on réussir à remplacer la hiérarchie par une autre forme de structure?
Michael Y. Lee: «Le premier grand défi est de s’assurer que les employés se sentent à l’aise pour prendre des décisions. Le deuxième grand défi est celui de la clarté et de la coordination, afin que chacun sache toujours ce qu’il est censé faire, et ce, sans hiérarchie ni supervision. Souvent, les employés sont rassurés lorsque cette autonomie est bien définie. Un troisième facteur consiste à attirer les bonnes personnes. Certains dépérissent dans une telle culture, tandis que d’autres s’y épanouissent. Dans la pratique, on observe une énorme diversité entre les individus et la manière dont ils vivent ce type de culture.»
En savons-nous plus sur ces catégories de personnes?
Michael Y. Lee: «Mes recherches m’ont appris qu’il existe deux facteurs clés. Le premier est la mesure dans laquelle les employés maîtrisent leur travail. Les employés qui maîtrisent très bien leur travail s’épanouissent généralement dans un environnement autonome. Ceux qui éprouvent des difficultés se sentent souvent mieux dans un environnement plus hiérarchisé. Cela n’est probablement pas surprenant. Un environnement où règne une grande autonomie offre beaucoup de liberté, mais aussi beaucoup de responsabilités. Les employés doivent prendre eux-mêmes de nombreuses décisions fondamentales, à commencer par la façon dont ils planifient leur journée, les priorités qu’ils fixent, etc. Le deuxième facteur critique est leur intérêt préalable face à ce type d’organisation. Les employés qui trouvaient cette forme d'organisation intéressante avant leur embauche sont globalement plus épanouis que les autres. Je n’ai pas trouvé de corrélation entre ces deux catégories. Les employés qui ont un haut degré de maîtrise ne sont donc pas les seuls à avoir indiqué à l’avance qu’ils aimeraient travailler dans ce type d’organisation. J’ai également étudié le profil psychologique des personnes qui avaient manifesté leur envie de travailler dans une organisation offrant une grande autonomie. L’âge et le sexe ne jouaient aucun rôle. Comme l’âge n’était pas un facteur déterminant, on ne peut certainement pas affirmer que la génération Z souhaiterait travailler dans un environnement autonome. Je pense que l’assertivité était l’aspect le plus récurrent au sein des deux groupes. Des recherches supplémentaires sont toutefois nécessaires à cet égard.»
Michael Y. Lee
Fonction: Professeur assistant en comportement organisationnel de l'INSEAD
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