Wouter Torfs Wouter Torfs, CEO des chaussures Torfs
Texte
Jo Cobbaut
Image
Christophe Morre

Nous avons mis en place rapidement une politique du télétravail

1 janvier 2022
Nous avons senti qu’il fallait donner une place autélétravail. D’où le fait que nous avons conclu rapidement une CCT au niveau de l’entreprise
Wouter Torfs, CEO de la chaîne de magasins de chaussures du même nom, a annoncé récemment la conclusion d'une CCT d'entreprise sur le télétravail. Un peu plus tôt, il avait déminé la question brûlante du travail de nuit avec une autre convention. Comment expliquer la qualité du dialogue avec les partenaires sociaux?

Wouter Torfs, CEO de la chaîne de magasins de chaussures du même nom, a annoncé récemment la conclusion d'une CCT d'entreprise sur le télétravail. Un peu plus tôt, il avait déminé la question brûlante du travail de nuit avec une autre convention. Comment expliquer la qualité du dialogue avec les partenaires sociaux?

La crise sanitaire a porté un rude coup au chausseur Torfs. Quand les magasins de la chaîne ont été obligés de fermer, 600 salariés sur les 700 que compte l'entreprise ont été mis au chômage technique temporaire.

Wouter Torfs: «Heureusement que nous disposions de ce filet de sécurité. En même temps, notre activité de commerce électronique a explosé: pendant le confinement, ce volume a doublé pour représenter un tiers de notre chiffre d'affaires normal. Ce qui a bien sûr mis la pression sur la logistique derrière ces échanges virtuels. Par ailleurs, nos salariés ont beaucoup souffert de l'incertitude provoquée par la première vague. Quand les magasins ont rouvert, la routine du masque était loin d'être intégrée. Nous avons cependant réussi à continuer nos opérations dans le respect des règles de sécurité grâce à notre culture d'entreprise positive. Ce n'est pas pour rien que nous sommes certifiés depuis des années comme Great Place to Work. Notre culture positive s'est révélée précieuse pendant ces jours difficiles. Nos salariés ont accepté de s'engager dans des opérations logistiques et de faire des heures supplémentaires pour transférer les stocks de nos magasins vers notre centre de distribution.»

Le bien-être de vos collaborateurs est-il resté intact? Avez-vous constaté des séquelles?

Wouter Torfs: «Je ne peux pas vous donner de réponse univoque. Nous avons tous vécu différemment la pandémie. Certains de nos salariés vivent seuls dans un appartement. Ceux-là ont donc ressenti l'isolement social de façon plus douloureuse. Nous avons pris des initiatives, notamment en créant cinq cercles numériques pour ceux qui le souhaitaient. Ceux-là ont été accompagnés par un coach.»

Les salariés étaient-ils nombreux à participer à ces cercles?

Wouter Torfs: «Non, mais ceux qui ont tenté l'expérience en ont été très satisfaits. L'accompagnement par des coachs offre une réelle valeur ajoutée. De leur côté, les salariés ont aussi pris des initiatives, un club de lecture entre autres. Nous comptons parmi nos salariés de nombreuses jeunes femmes qui sont restées à la maison avec leurs enfants et qui ont pu profiter du beau temps pendant le premier confinement. Fort logiquement, elles ont moins mal vécu cette période. En d'autres termes, il est difficile d'évaluer globalement l'influence de la pandémie sur le bien-être de nos employés. Une partie de notre personnel administratif a pu passer au télétravail du jour au lendemain. Pour ma part, j'ai eu peur pour mon entreprise, mais moi aussi, j'ai pu profiter d'être chez moi, de me promener… Cela m'a donné notamment l'opportunité d'aborder de façon plus sereine la mort d'un membre de ma famille…»

Que l'expérience soit positive ou négative, elle a néanmoins forcé les gens à réfléchir.

Wouter Torfs: «Je l'ai constaté. Cette réflexion s'est concrétisée par la mise en place rapide d'une politique sur le télétravail. Nous avons compris qu'après les premières vagues, il était impensable de voir tout le monde revenir à plein temps au bureau. Nous sentions tous qu'il fallait donner une place au télétravail. D'où le fait que nous avons conclu rapidement une CCT au niveau de l'entreprise. Ses grands principes? Nous versons une indemnité pour le travail à la maison et nous prévoyons de deux à trois jours de télétravail par semaine. Les équipes fixent les détails elles-mêmes, en concertation avec les responsables et les collègues. Je le reconnais, dans nos bureaux de Saint-Nicolas, il y a peu de monde le mercredi et le vendredi… Mais tant que le travail est fait et que les responsabilités sont prises, cela ne me dérange pas. Nous demandons cependant que les équipes soient présentes au complet de temps en temps pour bénéficier au maximum de la valeur ajoutée du travail collectif. Nous n'acceptons pas le travail à la carte au niveau individuel.»

Comment surveillez-vous le niveau de bien-être? Procédez-vous à des mesures?

Wouter Torfs: «Pas vraiment même si nous avons effectué en 2021 un grand sondage sur le bien-être. Nous avons examiné dans quelle mesure les salariés se sentent soutenus par notre entreprise, ces résultats étaient plutôt positifs. Notre instrument principal reste le programme Great Place to Work. Nos participations successives nous ont fourni une série de points d'amélioration.»

Le commerce électronique pèse de plus en plus lourd dans les résultats de votre entreprise.

Wouter Torfs: «Auparavant, la part du commerce électronique tournait autour de 17 ou 18%. Aujourd'hui, elle s'élève à 22 ou 23% de notre chiffre d'affaires. Le niveau de service de notre commerce virtuel est sans doute suffisant pour nous stabiliser à ce niveau. Je constate aussi que les magasins situés dans les banlieues des villes ont retrouvé leur niveau de 2019. Ceux qui sont situés au centre des villes ou dans les galeries commerçantes perdent encore entre 10 et 20% de leur chiffre par rapport à 2019. Tout compte fait, nous sommes encore en recul de 2% par rapport à 2019.»

Souffrez-vous des réglementations restrictives qui s'appliquent au commerce électronique?

Wouter Torfs: «C'est effectivement un vieux problème. De nombreuses activités logistiques ont été transférées aux Pays-Bas parce que ce pays possède des réglementations plus souples et qu'il dispose de jobs flexibles. Le marché du travail y est plus souple, les coûts salariaux plus faibles. Notre gouvernement a produit un cadre législatif pour le travail de nuit, mais il doit encore être confirmé. De notre côté, nous avons signé il y a cinq ans déjà une CCT dans ce domaine. Cet accord, nous le devons au climat positif de notre culture d'entreprise. Dès 17h30, nous versons un supplément de 25%. Nos collaborateurs logistiques travaillent quatre jours par semaine. Je le dis en souriant parce que le gouvernement a lancé récemment un ballon d'essai sur la semaine des quatre jours. Nous avons conclu à cet effet une convention et cela n'a posé aucun problème particulier parce que nos salariés comprennent que Torfs doit rester compétitif. Le client qui commande avant 22 heures doit recevoir son colis le lendemain, mais dans ce cas, vous devez pouvoir travailler jusqu'à 23 heures. Nos collaborateurs estiment que c'est l'évidence. Pour ma part, je crois aussi que le paiement d'une prime est une évidence.»

Les statistiques donnent une mauvaise image du travail de nuit.

Wouter Torfs: «Notre culture de la communication ouverte contredit cette généralisation abusive. Dans ce type de culture, les salariés se sentent impliqués et quand nous abordons la question du travail de nuit, nos salariés réagissent avec une grande sincérité. D'ailleurs, celui qui ne le veut pas ne sera pas obligé d'adopter cet horaire. Il pourra être affecté ailleurs dans notre chaîne logistique. Nous comparer à Amazon ou à Zalando me semble hors de propos. Je connais aussi les situations inhumaines rapportées par les médias mais vous pouvez toujours demander à nos collaborateurs comment ils vivent leur travail chez nous.»

Votre raisonnement est celui-ci: rendez ces horaires de travail plus faciles à mettre en place et nous les appliquerons de façon responsable…

Wouter Torfs: «Absolument. Nous le faisons avec les salariés qui en ont envie. Nos collaborateurs aiment l'horaire de quatre jours parce qu'il leur donne trois journées de loisirs. Et la prime rend leur salaire plus intéressant. Je trouve d'ailleurs suffisamment de candidats pour ces métiers logistiques. Dans les points de vente, en revanche, c'est moins facile. Là, je crains qu'à cause de la pandémie, travailler le samedi et le dimanche soit devenu moins acceptable. On y préfère les horaires de 9 à 5.»

Comment dénichez-vous malgré tout des vendeurs et des vendeuses pour vos magasins?

Wouter Torfs: «En mettant en avant notre certification Great Place to Work et misant sur notre marque d'employeur. Nous avons actuellement entre 30 et 40 fonctions vacantes, mais nous ne manquons pas de candidats. Nous recevons près de 80 CV par semaine. D'autres chaînes de magasins en revanche n'ont plus aucun candidat.»

Et l'absentéisme?

Wouter Torfs: «Il n'est pas plus élevé qu'ailleurs. Les dernières mesures nous situent à la moitié de la moyenne du commerce, un secteur qui souffre traditionnellement d'un taux de rotation important et d'absentéisme.»

Les entreprises en général, et le commerce de détail encore plus, fondent leurs décisions sur l'analyse des données.

Wouter Torfs: «Il s'agit de l'une de nos priorités stratégiques, surtout dans les domaines du marketing et de la communication. Au lieu d'envoyer un mailing à 1,2 million d'adresses, nous allons personnaliser nos messages beaucoup plus finement. Les données sont aussi essentielles pour rentabiliser notre commerce électronique. La rentabilité de notre plateforme virtuelle a progressé pour atteindre l'Ebitda des magasins physiques. Nous gérons beaucoup mieux nos retours par exemple. Et nous ne vendons plus de chaussures à perte. Aujourd'hui, nous savons quels sont les produits qui bénéficient d'une marge trop réduite pour financer la livraison et le retour gratuits. Notre filtre exclut certains produits de la vente en ligne. Ma seule source de frustration est de voir les grands opérateurs brûler du cash pour déstabiliser le marché et assurer leur monopole. Je constate qu'un opérateur multinational réalise surtout son bénéfice sur la location de son service d'hébergement dans le cloud… Il y a de quoi se poser des questions. Mais dans l'intervalle, c'est tout le système du commerce de proximité qui est mis à mal…»