Les managers classiques pensent que le leadership est une qualité personnelle, mais le monde est devenu si complexe qu’un seul individu ne peut tout résoudre
Ce que l'on appelle le leadership est souvent une forme de comportement destructif qui abîme les individus, les organisations et la vie en société. C'est l'idée de départ que Céline Schillinger exprime dans son livre, Dare to Un-Lead. Elle plaide donc pour un leadership collectif qui unirait les managers et les salariés.
Rendre le monde meilleur. L'ambition de Céline Schillinger peut sembler idéaliste mais elle s'appuie sur une longue expérience de terrain. Elle repose aussi sur une approche réaliste, centrée sur l'engagement.
Comment avez-vous découvert la puissance de l'engagement dans l'entreprise?
Céline Schillinger: «Après avoir travaillé dans plusieurs compagnies en Asie, je suis entrée en 2001 chez Sanofi Pasteur, un spécialiste mondial des vaccins. J'y ai fait mes premiers pas dans le département RH puis j'ai exercé plusieurs fonctions dans le domaine des opérations globales. En 2010, j'ai participé à un grand mouvement dans l'entreprise: avec trois mille collègues, nous avons collaboré dans le monde entier pour introduire certains changements. L'engagement bénévole de tous ces salariés, qui ont accepté du travail supplémentaire, a suscité énormément d'énergie, de dynamique et de plaisir. La puissance d'un collectif comme celui-là était énorme.»
Que vouliez-vous changer?
Céline Schillinger: «En dernière analyse, il s'agissait pour moi de diversité. J'étais convaincue que l'entreprise devait mieux refléter le monde auquel elle s'adressait. Un monde très varié naturellement, mais que l'on retrouvait pas dans la structure de l'entreprise. En abordant cette problématique de la diversité dans l'entreprise, de nouvelles formes d'interactions sont apparues, de même que de nouvelles manières de créer de la valeur. La puissance des réseaux numériques est un facteur de succès essentiel: ils nous ont permis de rester en contact pendant la pandémie. Ces réseaux ont un potentiel énorme que nous pouvons exploiter aussi à l'extérieur de l'entreprise. Par la suite, j'ai été promue au poste de responsable du marketing des stakeholders et j'ai appliqué une nouvelle forme de marketing basée sur l'engagement.»
Que représente cette stratégie de l'engagement?
Céline Schillinger: «L'engagement suppose une mentalité de l'action. Il s'agit de mettre les individus au défi, autant les salariés que les clients, pour chercher activement des solutions au lieu d'attendre passivement des instructions. Ensemble, nous en savons plus et nous sommes capables d'en faire plus. Le premier cas dans lequel j'ai appliqué cette stratégie a été le lancement d'un vaccin contre l'infection provoquée par le virus de la dengue. Nous avons créé une communauté en ligne dans laquelle les patients et les professionnels pouvaient échanger leurs expériences. En définitive, notre vaccin n'était qu'une petite partie de tout un écosystème d'opinions et de solutions. En moins de trois ans, nous avons comptabilisé plus de 250.000 followers et l'Organisation mondiale de la Santé a distingué notre approche comme étant un e-health case parfait.»
Le changement suscite souvent des résistances dans l'organisation. Comment peut-on les dépasser?
Céline Schillinger: «Il n'est pas simple en effet de changer les habitudes, une constatation qui concerne en premier lieu le management. Les managers classiques pensent que le leadership est une qualité personnelle, mais le monde est devenu si complexe qu'un seul individu ne peut tout résoudre. Pour rendre l'entreprise meilleure, et la société aussi, nous devons abandonner l'hégémonie hiérarchique imposée par le sommet au profit d'un leadership collectif qui responsabilise les salariés, qui leur donne du pouvoir, pour mener ensemble des actions. Nous avons besoin de managers capables de relier et faire travailler ensemble des salariés aux racines variées. C'est en écoutant vos collaborateurs et en dialoguant avec eux que vous pourrez évacuer leur résistance. Mon livre ne propose pas un modèle que l'on pourrait suivre de A à Z, car il n'y a pas de panacée. Je montre en revanche quelques chemins que l'on peut explorer.»
Par quels moyens stimulez-vous le leadership collectif?
Céline Schillinger: «Première voie: l'émancipation. Nous devons apprendre à nous libérer des routines que nous ne remarquons plus et qui ne nous aident plus. Dans le leadership traditionnel, la vision du leader est la meilleure, alors qu'elle n'est qu'une vision parmi d'autres. La meilleure vision est celle qui fusionne toutes les autres. Raison pour laquelle il est important d'impliquer les travailleurs dès le début d'un projet et de ne pas les considérer comme des boîtes vides qu'il faut remplir. Ne traitez pas vos collaborateurs comme des robots mais exploitez à fond leur humanité. Deuxième voie: créez un réseau qui permettra de relier tout un chacun. Une nécessité d'autant plus cruciale dans un contexte international et dans le cadre de la pandémie. Mais cela ne concerne pas seulement la technologie: vous n'avez pas besoin d'une entreprise où règnent les courtisans. Ce qu'il faut, c'est une culture de réseau qui encourage les individus à partager leur vision sans craindre des répercussions négatives. Troisième voie: la mobilisation. Chacun a envie de pouvoir apporter sa pierre à l'édifice: faites appel à toutes les connaissances qui sont présentes dans votre organisation. Vous avez besoin de travailleurs qui ont une intelligence émotionnelle faible et d'autres chez qui elle est forte. Ceci, pour obtenir une bonne vision des préoccupations de vos salariés. En mobilisant chacun, vous suscitez la confiance et vous augmentez votre capital social. L'activisme dans une entreprise est extrêmement efficace.»
Dans votre livre, vous décrivez ces trois voies comme étant celles de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Votre approche est-elle typiquement française?
Céline Schillinger: «Bien sûr, je ne peux pas renier mes origines françaises. Mais mon expérience dans plusieurs parties du monde m'a appris que ce sont précisément des valeurs universelles qui fonctionnent partout. Elles résument bien ma vision selon laquelle la pression venue d'en haut ne fonctionne pas, alors que la formule inverse donne souvent des résultats. La créativité vous fait avancer beaucoup plus loin pour affronter les nouveaux défis qui n'arrêtent pas de se présenter. Mieux: il en va de notre responsabilité de continuer à chercher de nouvelles solutions. C'est cette passion pour l'activisme positif que je veux partager dans mon livre.» ¶
Céline Schillinger a plus de trente ans d'expérience en entreprise. Elle aide les petites et les grandes structures à se transformer. Plusieurs éléments sont centraux dans son approche: l'engagement, le sentiment d'appartenance à une communauté, le leadership engagé et les formes hybrides de travail. Son livre Dare to Un-Lead vient de paraître. Elle y plaide pour le leadership partagé.
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